🔮 Suspension de Radio OmĂ©ga : cette dĂ©cision « porte atteinte Ă  l’intĂ©rĂȘt national », Plateforme des Justes

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La Plateforme des Justes, dans une analyse intitulĂ©e « L’abaissement de l’État de droit sous la transition », publiĂ©e samedi, estime que la suspension de Radio OmĂ©ga « ne semble pas ĂȘtre liĂ©e Ă  une cause d’intĂ©rĂȘt national » et que le choix et l’ampleur de la sanction infligĂ©e sont « discutables », car ils ne correspondent pas Ă  une sanction prĂ©vue par la loi. Le ministre de la Communication, en prenant cette dĂ©cision, aurait, selon les Justes, outrepassĂ© les pouvoirs du CSC et aurait cherchĂ© Ă  camoufler sa dĂ©cision « manifestement illĂ©gale sous la couverture de la raison d’État en invoquant l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de la Nation ».

« La raison d’État concerne des dĂ©cisions politiques prises par les gouvernants, qui peuvent dĂ©roger au formalisme prescrit pour certaines (dĂ©cision Ndlr), mais dont la lĂ©gitimitĂ© et l’importance pour la communautĂ© sont fondĂ©es. Cependant, dans ce cas prĂ©cis, nous ne percevons pas l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur national justifiant la suspension illimitĂ©e de Radio OmĂ©ga », Ă©crivent les Justes dans leur analyse.

Selon eux, « l’ouverture de l’antenne de cette radio Ă  un contradicteur des auteurs du coup d’État du 26 juillet au Niger ne semble pas ĂȘtre liĂ©e Ă  une cause d’intĂ©rĂȘt national justifiant l’arrĂȘt des Ă©missions d’une radio nationale ». Ils ajoutent que « c’est plutĂŽt la suspension de Radio OmĂ©ga, un mĂ©dia Ă  large audience, qui porte atteinte Ă  l’intĂ©rĂȘt national, car elle prive des millions de BurkinabĂš des Ă©missions qui y sont diffusĂ©es ».

La Plateforme des Justes Ă©voque Ă©galement, dans son analyse, les Ă©vĂ©nements liĂ©s Ă  la cĂ©lĂšbre guĂ©risseuse de Komsilga. Sous mandat de dĂ©pĂŽt, son exfiltration des locaux du Tribunal de Grande Instance Ouaga 2, selon les Justes, constitue une « Ă©vasion organisĂ©e ». Ils examinent, dans leur document, la gestion de la crise par l’exĂ©cutif, notamment par le PrĂ©sident de la Transition et le ministre de la Justice, avocat de profession, ainsi que par le Premier ministre, Docteur en droit et enseignant Ă  l’universitĂ©, Ă©galement avocat de profession, chargĂ© de l’exĂ©cution des lois selon la Constitution (article 63).

 

Lire l’intĂ©gralitĂ© de l’analyse de la Plateforme des Justes

PLATEFORME DES JUSTES : NOTRE ANALYSE DE L’ABAISSEMENT DE L’ETAT DE DROIT SOUS LA TRANSITION

L’actualitĂ© nationale de ces derniĂšres semaines a Ă©tĂ© marquĂ©e par deux faits majeurs : l’évasion organisĂ©e de la guĂ©risseuse Nikiema Amsetou de Komsilga, et la suspension des Ă©missions de Radio OmĂ©ga. Ces deux actes sont au couronnement d’autres violations des lois et rĂšglements plus ou moins connues du grand public sous la transition. Les Justes saluent le courage et le patriotisme de tous ces BurkinabĂš qui se sont interrogĂ©s ou qui ont exprimĂ© publiquement leurs inquiĂ©tudes face aux insuffisances de gouvernance de la transition, dans le souci d’amener nos gouvernants Ă  ĂȘtre plus regardants sur la conduite des affaires publiques. Dans cette analyse, nous ferons l’économie de la narration des faits suffisamment connus de tous. Nous dĂ©passerons Ă©galement les condamnations de routine pour nous pencher sur les problĂšmes de fond que posent les atteintes Ă  l’Etat de droit.

 

I.   NOS MOTIFS D’INQUIETUDE AU REGARD DE L’ABAISSEMENT DE L’ETAT DE DROIT SOUS LA TRANSITION

  1. L’évasion organisĂ©e de la guĂ©risseuse Nikiema Amsetou de komsilga

Beaucoup d’acteurs de la justice et d’autres secteurs d’activitĂ©s se sont prononcĂ©s sur l’irrĂ©gularitĂ© des actes posĂ©s par le groupe de militaires qui a soustrait la guĂ©risseuse des mains des agents de la Garde de SĂ©curitĂ© PĂ©nitentiaire (GSP) au matin du 29 juillet 2023 afin d’empĂȘcher son transfĂšrement Ă  la Maison d’ArrĂȘt et de Correction de Ouagadougou (MACO) en application d’un mandat de dĂ©pĂŽt dĂ©cernĂ© par le Procureur du Faso prĂšs du Tribunal de grande instance de Ouaga 2, mais surtout de la gestion de la crise par l’exĂ©cutif, ensemble le PrĂ©sident de la Transition et le Ministre de la Justice, Avocat de profession, sous le silence assourdissant du Premier Ministre, Docteur en Droit enseignant Ă  l’universitĂ©, Avocat de profession Ă©galement, chargĂ© de l’exĂ©cution des lois par la Constitution (article 63). Dans notre analyse, nous nous rĂ©fĂ©rerons aux deux communiquĂ©s des 31 juillet et 9 aoĂ»t 2023 du Conseil SupĂ©rieur de la Magistrature (CSM) pour deux raisons. La premiĂšre est que le CSM est l’institution qui incarne le pouvoir judiciaire, 3Ăšme pouvoir consacrĂ© par la Constitution du 02 juin 1991. Plus que quiconque, le CSM connait l’étendue et les limites des prĂ©rogatives du pouvoir judiciaire. Il est Ă©galement le mieux placĂ© pour relever les atteintes au fonctionnement et Ă  l’indĂ©pendance de la magistrature. La deuxiĂšme raison est que nul ne s’avisera de nous tenir grief pour les mots du CSM que nous aurons repris pour conforter nos points de vue et exprimer nos attentes quant Ă  la bonne marche des affaires du Faso, notre chose commune.

A travers le premier communiquĂ© datĂ© du 31 juillet 2023 et signĂ© de son PrĂ©sident, le CSM relĂšve l’atteinte grave Ă  l’indĂ©pendance du pouvoir judiciaire et au principe d’égalitĂ© des citoyens devant la loi, la violation des enceintes judiciaires et la violation du principe de la sĂ©paration des pouvoirs. ConsĂ©quemment, il condamne fermement cette immixtion dans les prĂ©rogatives du pouvoir judiciaire et exige l’exĂ©cution du mandat de dĂ©pĂŽt dĂ©cernĂ© par le Procureur du Faso contre la prĂ©venue Nikiema Amsetou.

Nous avions pensĂ© que le PrĂ©sident de la Transition allait user de son autoritĂ© pour faire cesser ce que nous pensions ĂȘtre un Ă©garement passager de quelques agents zĂ©lĂ©s, en demandant l’application de la loi dans toute sa rigueur. L’article 129 de la Constitution dispose en effet que

« le PrĂ©sident du Faso est garant de l’indĂ©pendance du pouvoir judiciaire. » Au contraire, lors de son sĂ©jour dans la ville de PĂŽ le 05 aoĂ»t 2023, le PrĂ©sident de la Transition s’est prononcĂ© publiquement sur l’affaire en brandissant plutĂŽt la thĂšse « d’une grosse conspiration » contre son pouvoir, tout en menaçant de sĂ©vir contre la justice dans les heures Ă  venir, faisant ainsi chorus avec le Gouvernement qui, dans un communiquĂ© du 05 aoĂ»t 2023, avait rejetĂ© toute immixtion de l’exĂ©cutif, Ă©voquant plutĂŽt une manipulation orchestrĂ©e par des officines obscures

 

Ă  la solde d’intĂ©rĂȘts Ă©trangers. En outre, le PrĂ©sident de la Transition a affirmĂ© avoir repĂ©rĂ© un certain nombre de magistrats « pourris et vendus » qui salissent l’image de la justice.

Nous nous interrogeons de savoir, en quoi l’exĂ©cution d’un mandat de dĂ©pĂŽt de la justice peut- il interfĂ©rer sur le pouvoir exĂ©cutif au point de justifier la mise sous protection militaire de la guĂ©risseuse et de surcroĂźt, justifier les mots durs du Chef de l’Etat en direction de l’institution judiciaire ? Le CSM conclut Ă  une partialitĂ© manifeste du garant de l’indĂ©pendance du pouvoir judiciaire en faveur d’une partie dans un dossier judiciaire, toute chose qui viole le principe constitutionnel d’égalitĂ© des citoyens BurkinabĂš devant la loi.

Dans son communiquĂ© du 9 aoĂ»t 2023, le CSM condamne encore les atteintes Ă  la sĂ©paration des pouvoirs et Ă  l’indĂ©pendance du pouvoir judiciaire, fĂ©licite les acteurs du systĂšme judiciaire pour leur professionnalisme et les invite au respect de la lĂ©galitĂ© dans l’exercice de leurs fonctions afin de participer Ă  la construction d’une justice burkinabĂš qui garantit l’égalitĂ© entre les justiciables. C’est le lieu pour nous de rappeler que toute sociĂ©tĂ© organisĂ©e fonctionne suivant des rĂšgles assorties de sanctions dont la mise en Ɠuvre incombe Ă  la justice. Mais la justice faisant partie des pouvoirs instituĂ©s de l’État, seule son indĂ©pendance Ă  l’égard des pouvoirs lĂ©gislatif et exĂ©cutif est en mesure de garantir son impartialitĂ© dans l’application des normes de droit. L’indĂ©pendance de la justice est donc centrale pour le respect de l’Etat de droit, afin que le juge n’ait pas Ă  subir de pression extĂ©rieure l’invitant Ă  juger dans un sens plus que dans un autre comme cela a Ă©tĂ© perceptible dans l’affaire de la guĂ©risseuse oĂč, fait inĂ©dit, le Ministre de la Justice lui-mĂȘme a entravĂ© l’application de la dĂ©cision judiciaire.

 

B.   La suspension illimitée de Radio Oméga

  1. Les atteintes manifestes à la liberté de presse

Le Ministre de la Communication a suspendu Radio OmĂ©ga par un simple communiquĂ©, invoquant des motivations qui laissent perplexes : le mĂ©dia aurait pris des libertĂ©s inacceptables avec l’Ă©thique et la dĂ©ontologie de la profession de journaliste en faisant le choix dĂ©libĂ©rĂ© de diffuser le jeudi 10 aoĂ»t 2023, un entretien rĂ©alisĂ© par ses soins avec le porte-parole d’un mouvement rĂ©cemment crĂ©Ă© pour « restaurer la dĂ©mocratie » au Niger, lequel entretien serait Ă©maillĂ© de propos injurieux Ă  l’encontre des nouvelles autoritĂ©s nigĂ©riennes.

Professionnel de la communication, le Ministre n’est pas sans savoir que seul le CSC a compĂ©tence exclusive pour rĂ©guler le secteur de la Communication, pouvoir tirĂ© de la loi organique n°015-2013/AN du 14 mai 2013 portant attributions, composition organisation et fonctionnement du Conseil SupĂ©rieur de la Communication (CSC) modifiĂ©e par la loi n°004- 2018/AN du 22 mars 2018. L’article 4 de cette loi dispose clairement que « le Conseil SupĂ©rieur de la Communication est une autoritĂ© administrative indĂ©pendante chargĂ©e de la rĂ©gulation du secteur de la communication au Burkina Faso », disposition suivie des domaines de compĂ©tence attribuĂ©s Ă  cette institution.

Le Ministre de la Communication avait dĂ©jĂ  saisi le CSC de la question. Mais n’étant sans doute pas convaincu que l’institution de rĂ©gulation infligera la sanction voulue, il a prĂ©fĂ©rĂ© la devancer et a suspendu Radio OmĂ©ga sans aucun formalisme « jusqu’à nouvel ordre », une sanction qui n’existe pas dans la gamme des sanctions prĂ©vues par les textes. En effet, en raison de l’atteinte aux libertĂ©s constitutionnelles inhĂ©rente Ă  l’institution d’une sanction administrative, le principe de la lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines s’y applique et implique que les Ă©lĂ©ments constitutifs des infractions soient dĂ©finis de façon prĂ©cise et complĂšte. Seules les sanctions prĂ©vues par la loi peuvent ĂȘtre prononcĂ©es. Et seul le lĂ©gislateur peut confĂ©rer Ă  une autoritĂ© administrative le pouvoir de prendre des sanctions en cas de manquement Ă  la lĂ©gislation Ă©dictĂ©e.

 

Au Burkina Faso, l’autoritĂ© investie du pouvoir de sanction et les procĂ©dures applicables en matiĂšre de rĂ©gulation du secteur de la communication sont prĂ©cisĂ©es par la loi organique n°015- 2013/AN du 14 mai 2013. L’article 46 de ladite loi organique prĂ©voit comme sanctions la mise en demeure suivie de la suspension d’activitĂ© du mĂ©dia en faute « pour trois mois au plus », sa sanction financiĂšre « dont le montant est fixĂ© dans les diffĂ©rents cahiers des charges et des missions » ou enfin « le retrait de l’autorisation d’exploitation ou l’interdiction de la publication. » Nulle part il n’est prĂ©vu de suspension illimitĂ©e. Ensuite, en matiĂšre d’édiction de sanctions administratives, sont seuls punissables les faits constitutifs d’un manquement Ă  des obligations dĂ©finies par des dispositions lĂ©gislatives ou rĂ©glementaires en vigueur Ă  la date oĂč ces faits ont Ă©tĂ© commis. Et la loi organique prĂ©voit que la rĂ©alitĂ© des manquements soit Ă©tablie et la sanction prononcĂ©e par un collĂšge qualifiĂ© de conseillers du CSC rĂ©guliĂšrement convoquĂ© Ă  cet effet, le sacro-saint principe du droit de la dĂ©fense Ă©tant respectĂ©. Enfin, et cela est dĂ©terminant, le principe de proportionnalitĂ© de la sanction s’applique tant pour le choix que pour l’ampleur de la sanction. Les mĂ©dias Ă©trangers suspendus au Burkina Faso, RFI, France 24 et LCI, continuent d’émettre dans le reste du monde. Mais Radio OmĂ©ga, un mĂ©dia national met la clĂ© sous la porte avec la suspension illimitĂ©e. Appliquant le droit au fait, il apparait que le choix et l’ampleur de la sanction infligĂ©e Ă  Radio OmĂ©ga sont discutables dĂšs lors que la suspension pour une pĂ©riode indĂ©finie a les mĂȘmes effets que le retrait de l’autorisation d’exploitation et n’est pas une sanction prĂ©vue par la loi. Et pire, le Ministre de la Communication n’a pas qualitĂ© pour infliger une sanction Ă  un organe de presse.

MalgrĂ© cette plĂ©thore de garde-fous protecteurs de la libertĂ© de presse, le Ministre de la Communication n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  empiĂ©ter sur les pouvoirs du CSC pour sanctionner Radio OmĂ©ga. Pour un professionnel de sa trempe, il Ă©tonne par la frĂ©quence de ses atteintes Ă  la libertĂ© de la presse dont il devrait au contraire assurer la promotion.

 

2.  La suspension de Radio OmĂ©ga au nom de la raison d’Etat ?

Dans le communiquĂ© de suspension de Radio OmĂ©ga, le Ministre de la Communication a dit que le Gouvernement « assume en toute responsabilitĂ© la dĂ©cision de suspendre dĂšs ce jeudi 10 aoĂ»t 2023 et ce jusqu’à nouvel ordre, la diffusion des programmes de Radio OmĂ©ga au nom de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de la Nation. » Nous pensons que le ministre a voulu placer sa dĂ©cision manifestement illĂ©gale sous la couverture de la raison d’Etat en invoquant l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de la Nation. On le sait, la raison d’État est un concept qui permet aux pouvoirs publics de prendre des mesures exceptionnelles, qui pourraient ĂȘtre en dehors du cadre juridique, pour les nĂ©cessitĂ©s de survie de la Nation. Au nom de cet intĂ©rĂȘt supĂ©rieur, des principes ou des attributs de la dĂ©mocratie sont suspendus ou ignorĂ©s pour un temps limitĂ©. L’article 59 de la Constitution qui accorde des pouvoirs exceptionnels au PrĂ©sident du Faso pour prĂ©server l’effondrement de l’Etat est la reconnaissance expresse de cette raison d’Etat. Il est vrai aussi que l’application de la raison d’Etat ne se limite pas au formalisme contraignant de cette disposition constitutionnelle. Dans la mission de gouvernance, la raison d’Etat recouvre des dĂ©cisions politiques prises par les gouvernants, qui peuvent dĂ©roger au formalisme prescrit pour certaines, mais dont la lĂ©gitimitĂ© et l’importance pour la communautĂ© est fondĂ©e.

Sauf qu’en l’espĂšce, l’on ne perçoit pas l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur national dont la protection a nĂ©cessitĂ© la suspension illimitĂ©e de Radio OmĂ©ga. L’ouverture de l’antenne de cette radio Ă  un contradicteur des auteurs du coup d’Etat du 26 juillet au Niger ne nous parait se rattacher Ă  aucune cause d’intĂ©rĂȘt national pouvant justifier l’arrĂȘte des Ă©missions d’une radio nationale. C’est plutĂŽt la suspension de Radio OmĂ©ga, mĂ©dia de grande Ă©coute qui porte atteinte Ă  l’intĂ©rĂȘt national, dĂšs lors qu’elle prive des millions de BurkinabĂš des Ă©missions qui y sont diffusĂ©es.

 

Avec le recul, nous pensons que les suspensions de mĂ©dias sous la transition sont bien rĂ©flĂ©chies. En effet, ce fut d’abord RFI, puis France 24, ensuite LCI et aujourd’hui Radio OmĂ©ga qui ont tous pratiquement Ă©copĂ© de la mĂȘme sanction : la suspension pour une pĂ©riode indĂ©terminĂ©e pour des motifs non liĂ©s Ă  une faute professionnelle. L’invocation du problĂšme sĂ©curitaire, qui prĂ©occupe toute la Nation n’a servi que de prĂ©texte pour museler la presse afin de faire place Ă  la pensĂ©e unique. En rĂ©alitĂ©, un servant de l’Etat a pris un acte illĂ©gal faisant grief comme cela se dit en langage administratif. Il y a eu excĂšs de pouvoir et nous avons bon espoir que le juge administratif saisi par la direction de Radio OmĂ©ga retiendra sa compĂ©tence et annulera cette suspension qui ne repose sur aucune base lĂ©gale.

Pour un pouvoir qui a dit fonder son avĂšnement sur l’idĂ©al du respect de la justice, le constat est que la voie de rĂšglement choisie dans ces deux affaires s’est fait en dehors des rĂšgles fixĂ©es par les textes en vigueur. Et disons-le, toute gestion des affaires de l’Etat en dehors du cadre lĂ©gal n’est rien d’autre que de la mauvaise gouvernance, chose que l’application des rĂšgles de l’Etat de droit encadrĂ©es par la Constitution aurait Ă©vitĂ©. L’Etat de droit, qu’est-ce ?

 

II.    L’ETAT DE DROIT, NOTRE SALUT

  1. Les critùres de l’Etat de droit

La notion d’État de droit dĂ©signe un systĂšme institutionnel dans lequel l’État voit la puissance publique encadrĂ©e par des rĂšgles de droit hiĂ©rarchisĂ©es. L’État y est soumis Ă  un ensemble de normes juridiques qui s’opposent Ă  son pouvoir arbitraire, pour assoir la protection des libertĂ©s et droits fondamentaux. GrossiĂšrement, l’État de droit rĂ©pond Ă  la formule : « Nul n’est au- dessus de la loi ». Il repose forcĂ©ment sur une constitution qui dĂ©termine la place de toutes les autres institutions. Les trois organes constitutionnels (exĂ©cutif, lĂ©gislatif et judiciaire) tiennent leurs pouvoirs respectifs de cette constitution et non du bon vouloir et l’inspiration des servants. La dĂ©claration de guerre, la rĂ©pudiation d’un traitĂ© ne sont pas laissĂ©es au libre choix d’un quelconque organe, mais dĂ©terminĂ©es par la constitution. A ce propos, les BurkinabĂš qui contestent la dĂ©cision unilatĂ©rale de soutien du peuple BurkinabĂš Ă  la Russie contre l’Ukraine sont bien dans la lĂ©galitĂ© idem pour ceux qui se dĂ©marquent des annonces d’entrĂ©e en guerre de notre pays aux cĂŽtĂ©s du Niger contre la CEDEAO avec pour consĂ©quence le retrait de cette organisation.

L’Etat n’est pas nĂ© « Etat de droit ». Il a fallu des siĂšcles, pour inventer un Etat de droit caractĂ©risĂ© par la sĂ©paration des pouvoirs et la garantie des droits fondamentaux. Et ces droits ne sont pas tombĂ©s du ciel ; ils sont le produit des contradictions sociales et des luttes, politiques et intellectuelles, souvent longues, souvent violentes pour les obtenir. MĂ©connaitre ces principes d’organisation tirĂ©s de cette expĂ©rience peut constituer un danger pour la survie mĂȘme de l’Etat. Trois (3) conditions sont nĂ©cessaires Ă  la rĂ©alisation de l’Etat de droit :

  • Le respect de la hiĂ©rarchie des normes ;
  • L’Ă©galitĂ© des citoyens devant la loi ;
  • La sĂ©paration des pouvoirs et l’indĂ©pendance des

 

1.  Le respect de la hiérarchie des normes

L’existence d’une hiĂ©rarchie des normes constitue l’une des plus importantes garanties de l’État de droit. ConsidĂ©rĂ©e comme l’Ă©lĂ©ment fondamental de l’État de droit, la hiĂ©rarchie des normes est basĂ©e sur le principe de lĂ©galitĂ© selon lequel les actes du lĂ©gislateur et de l’administration doivent ĂȘtre conformes aux rĂšgles de droit qui leur sont supĂ©rieures. Au sommet de cet ensemble pyramidal figure la Constitution, suivie des engagements internationaux, de la loi, puis des

 

rÚglements. A la base de la pyramide figurent les décisions administratives ou les conventions entre personnes de droit privé.

Cet ordonnancement juridique s’impose Ă  l’ensemble des personnes juridiques, publiques ou privĂ©es et implique que tout individu, toute organisation, puisse contester l’application d’une norme juridique, dĂšs lors que cette derniĂšre n’est pas conforme Ă  une norme supĂ©rieure. Un tel modĂšle suppose donc la reconnaissance d’une Ă©galitĂ© des diffĂ©rents sujets de droit soumis aux normes en vigueur.

 

2.  L’égalitĂ© devant la loi

DeuxiĂšme caractĂ©ristique de l’État de droit, l’égalitĂ© devant la loi (ou l’isonomie) implique que chaque sujet de droit est soumis Ă  la mĂȘme loi, et que chacun dispose des mĂȘmes droits et des mĂȘmes devoirs. Cette Ă©galitĂ© est affirmĂ©e Ă  travers l’article premier de la Constitution du 02 juin 1991 : « Tous les BurkinabĂš naissent libres et Ă©gaux en droits. » L’égalitĂ© devant la loi vise Ă©galement l’État qui ne doit pas bĂ©nĂ©ficier d’un privilĂšge de juridiction ou d’un rĂ©gime dĂ©rogatoire au droit commun. Ce principe d’égalitĂ© est important. Il suppose que la justice soit

« aveugle » : elle ne tient pas compte des différences qui existent entre les justiciables (ùge, sexe, richesse, origine, religion).

 

3.  La sĂ©paration des pouvoirs et l’indĂ©pendance de la justice

DerniĂšre condition de l’État de droit et pilier de la dĂ©mocratie, la sĂ©paration des pouvoirs s’oppose Ă  ce que l’ensemble des pouvoirs soit concentrĂ© entre les mains d’un mĂȘme individu. Elle prĂ©serve la garantie des droits de l’ensemble des citoyens. Les fonctions de l’État sont ainsi fractionnĂ©es entre :

  • Le pouvoir lĂ©gislatif : il Ă©labore et adopte la loi ; il est exercĂ© par le Parlement qui reprĂ©sente le peuple souverain dans sa diversitĂ© Ă  travers les parlementaires ;
  • Le pouvoir exĂ©cutif : il met en Ɠuvre la loi et conduit la politique nationale. Il est exercĂ© par un chef de l’État et son
  • Le pouvoir judiciaire : il veille au respect des lois et sanctionne les Il est gardien des libertĂ©s individuelles et collectives. Il veille au respect des droits et libertĂ©s dĂ©finis dans la Constitution. Cette fonction de censorat est centrale dans l’encadrement de l’Etat de droit.

Mais la justice faisant partie de l’État, seule son indĂ©pendance Ă  l’égard des pouvoirs lĂ©gislatif et exĂ©cutif est en mesure de garantir son impartialitĂ© dans l’application des normes de droit et assurer l’égalitĂ© des justiciables. L’affaire de la guĂ©risseuse illustre la nĂ©cessitĂ© de cette indĂ©pendance statutaire et fonctionnelle de la justice pour assurer l’égalitĂ© des justiciables et prĂ©server les droits des victimes. Aussi, l’article 129 de notre Constitution dispose expressĂ©ment que « le pouvoir judiciaire est indĂ©pendant. »

 

B.   La place de la pluralitĂ© d’opinions dans l’Etat de droit

L’État de droit est aujourd’hui considĂ©rĂ© comme la principale caractĂ©ristique des rĂ©gimes dĂ©mocratiques. Certes, la dĂ©mocratie a ses insuffisances intrinsĂšques, indĂ©pendamment mĂȘme de sa pratique Ă  travers le monde. Mais c’est un modĂšle de gouvernement qui respecte les droits de l’homme, la libertĂ© d’expression et l’Ă©galitĂ© des chances. Nous rĂ©fĂ©rant Ă  l’article 31 de la Constitution, « Le Burkina Faso est un Etat dĂ©mocratique, unitaire et laĂŻc. » En faisant du droit un instrument privilĂ©giĂ© de rĂ©gulation de l’organisation politique et sociale, l’État de droit subordonne le principe de lĂ©gitimitĂ© au respect de la lĂ©galitĂ©.

 

La Constitution du 02 juin 1991 garantit les droits fondamentaux Ă  tout BurkinabĂš. Pourtant, en violation de ces garanties constitutionnelles, la libertĂ© de presse est muselĂ©e, la libertĂ© de rĂ©union est entravĂ©e, les partis politiques et les organisations de la sociĂ©tĂ© civile rĂ©guliĂšrement constituĂ©s sont suspendus depuis le 30 septembre 2022, pendant que les organisations proches du pouvoir ne disposant mĂȘme pas de titre d’existence sont libres de mener leurs activitĂ©s. PrĂ©tendre Ɠuvrer pour le bien du peuple et entraver l’expression des droits fondamentaux des citoyens au profit d’une minoritĂ© n’est autre que de la mauvaise gouvernance. La presse, les partis politiques et les organisations de la sociĂ©tĂ© civile sont les porte-voix de la diversitĂ© et de la pluralitĂ© du peuple BurkinabĂš ; leur musellement ne fait qu’exacerber les fractures sociales et politiques.

L’Etat de droit est le refuge de chaque gouvernant au soir de son pouvoir, quand tout est perdu, sauf les droits fondamentaux dont l’indĂ©pendance du juge garantit l’application impartiale au profit du prince dĂ©chu. Aussi, nous associons notre tribune au CSM pour dire que

« l’indĂ©pendance de la justice n’est pas un privilĂšge pour les acteurs judiciaires et 
 son assujettissement ne nuirait pas non plus qu’aux seuls acteurs judiciaires. » Enfin, si l’indĂ©pendance de la justice doit ĂȘtre rapportĂ©e, le peuple qui l’a voulue apprĂ©ciera.

 

III.    NOS VƒUX PIEUX POUR LES REFORMES EN VUE

Les hommes politiques et les intellectuels sont devenus les punshing ball sur lesquels le Premier Ministre TambĂšla ne cesse de taper Ă  chaque occasion. Le 12 juin passĂ©, parlant des reformes en vue, il disait encore que « Nos intellectuels, plus particuliĂšrement nos pseudos constitutionnalistes sont incapables d’innover car ils pensent que tout doit se faire selon le canevas imposĂ© par les occidentaux », propos rapportĂ©s par l’Agence d’Information du Burkina (AIB). Un langage qui manifeste sa volontĂ© de gouverner dans la division, l’exclusion et la confrontation, toute chose contraire Ă  la logique rĂ©publicaine, surtout dans la situation de crise que le pays traverse. ChargĂ© de l’exĂ©cution des lois et de la mise en Ɠuvre de la politique gouvernementale, nous ne voyons pas comment le Premier Ministre pourrait rĂ©ussir des reformes s’il tient en aversion les acteurs politiques et les intellectuels qui sont des acteurs importants du fonctionnement de l’Etat.

Notre salut rĂ©side dans l’Etat de droit, dont la constitution est le socle. Aussi, dans la rĂ©forme en cours visant Ă  doter le pays d’une nouvelle constitution, il est impĂ©ratif de veiller au maintien des Ă©quilibres organisationnels et fonctionnels entre les pouvoirs constitutionnels. Elle ne doit pas aboutir Ă  la remise en cause des principes dĂ©mocratiques acquis de haute lutte par nos devanciers. Autrement, tout est vouĂ© Ă  l’échec. Et ce faisant, la transition aura semĂ© de nouveaux germes d’instabilitĂ© politique au Burkina Faso pour de longues annĂ©es. Nous avons bon espoir que le tollĂ© gĂ©nĂ©ral consĂ©cutif Ă  l’évasion de la guĂ©risseuse et Ă  la suspension de Radio OmĂ©ga seront l’occasion d’un sursaut dans la gouvernance de la transition.

 

Ouagadougou, le 26 août 2023

 

Pour la Plateforme

 

Traoré Amadoun
Dr François Kaboré
Yaméogo Noël

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