🔴 Exfiltration Guérisseuse de Komsilga : le CSM demande la lumière sur les circonstances de l’évasion de la prévenue

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Dans l’affaire dite « Guérisseuse traditionnelle de Komsilga », le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) y voit une « immixtion dans les prérogatives du pouvoir judiciaire ».
Dans une déclaration en date du 31 juillet 2023, le CSM dénonce une volonté de certaines personnes de rendre l’institution judiciaire « sélective, discriminatoire, inéquitable, manipulée et inféodée à d’autres pouvoirs ».
Il dit rester attentif à l’évolution du dossier et exige, entre autres, que « toute la lumière soit faite autour des circonstances de l’évasion de la prévenue NIKIEMA Amsétou ».

L’intégralité du communiqué à lire ici 👇🏽

 

CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE

COMMUNIQUE

Dans l’après-midi du 29 juillet 2023, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) recevait copie d’un communiqué de monsieur le Procureur Général près la Cour d’appel de Ouagadougou relativement à des faits qui se seraient déroulés au sein du Tribunal de grande instance Ouaga II. sis dans le quartier Karpala.

Il en ressort en substance que sur ses instructions, le parquet du Tribunal de grande instance Ouaga II a ouvert une enquête en vue d’identifier et d’interpeller les auteurs et les complices de faits de coups et blessures volontaires et d’actes de torture qui circulaient déjà depuis un certain temps sur les réseaux sociaux. Qu’y déférant, le Procureur du Faso saisissait le commissariat de police de district de Komsilga qui a interpellé puis déféré dans la journée du 28 juillet 2023 neuf (09) personnes dont madame NIKIEMA Amsétou, une guérisseuse traditionnelle officiant dans ladite localité. Ces mis en cause, poursuivis suivant la procédure de flagrant délit et placés sous mandat de dépôt du Procureur du Faso, étaient en instance de transfèrement à la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO), lorsque des militaires lourdement armés ont fait irruption dans l’enceinte de ladite juridiction, à bord de deux pickups et d’un véhicule blindé pour exiger la libération de dame NIKIEMA Amsetou.

Informé de la situation, monsieur le Procureur Général a instruit l’exécution des mesures déjà prises par le parquet. Contre toute attente, il lui était rendu compte au matin du 29 juillet 2023 de ce que sur instructions de monsieur le Directeur Général de la sécurité pénitentiaire, la prévenue NIKIEMA Amsétou a été remise à des militaires se réclamant de l’Agence Nationale du Renseignement (ANR). Ce dernier aurait soutenu à son tour avoir agi sur instructions de monsieur le Ministre de la Justice et des Droits Humains, chargé des relations avec les Institutions, Garde des Sceaux.

Le Conseil supérieur de la magistrature voudrait déjà à cette étape faire trois constatations:

– la gravité des faits, objet de la saisine judiciaire tels qu’ils circulaient déjà sur les réseaux sociaux et qui ont ensuite reçu les qualifications pénales de coups et blessures volontaires, séquestration et actes de torture en application des dispositions de notre code pénal:

– l’atteinte grave à l’indépendance du pouvoir judiciaire et au principe d’égalité des citoyens devant la loi à travers l’évasion organisée de la dame prévenue et placée sous mandat de dépôt d’une part et la violation des enceintes judiciaires d’autre part:

– la violation du principe de la séparation des pouvoirs. En ces moments particuliers de notre histoire, il n’est pas superflu de rappeler que le peuple burkinabè a consenti d’énormes sacrifices pour l’avènement d’une justice indépendante, impartiale et crédible au service des populations et de l’Etat de droit à travers plusieurs réformes. Sans chercher à en faire un bilan, on peut s’autoriser à affirmer que des lignes ont bougé quand bien même les énergies doivent être davantage mobilisées pour renforcer les acquis dans la quête d’une institution judiciaire véritablement en phase avec les aspirations d’un peuple fortement attaché à l’État de droit et aux valeurs de justice.

Malheureusement, les évènements qui sont intervenus au Tribunal de grande instance Ouaga II, s’ils ne sonnent pas le glas de tous ces efforts consentis pour une justice indépendante et impartiale, illustrent amplement le désir de certaines personnes de rendre notre institution judiciaire sélective, discriminatoire, inéquitable, manipulée et inféodée à d’autres pouvoirs.

Le CSM condamne fermement cette immixtion dans les prérogatives du pouvoir judiciaire et rappelle à ce propos qu’aux termes des articles 129 et 131 de notre Constitution, le pouvoir judiciaire est indépendant et le Président du Faso en est le Garant. Dans son communiqué numéro 2 du 30 septembre 2022, le MPSR2, énumérant les causes de son coup d’État, affirmait ceci: «Les actions du Lieutenant-colonel DAMIBA nous ont progressivement convaincus que ses ambitions s’écartent largement de notre idéal commun. Nous avons assisté à une restauration au forceps d’un ordre ancien par des actes de nature à mettre en cause l’indépendance de la justice et à créer des précédents graves… ». Ces propos avaient rassuré dans l’espérance d’une Transition qui garantirait l’indépendance du pouvoir judiciaire dans un contexte particulier d’insécurité et de menaces multiples contre notre peuple qui commandent la mobilisation de tous les organes de l’État pour y faire face.

Les évènements intervenus au Tribunal de grande instance Ouaga II interrogent suffisamment au regard de la qualité de certains acteurs qui seraient impliqués, notamment l’Agence Nationale du Renseignement, le Directeur Général de la sécurité pénitentiaire et le Ministre de la Justice et des Droits Humains, chargé des Relations avec les Institutions, Garde des Sceaux. Quand on y rajoute certaines arrestations extrajudiciaires dénoncées et relayées çà et là ces derniers temps, il y a lieu de tirer la sonnette d’alarme sur ce qui ressemble malheureusement à une grave remise en cause des acquis de l’État de droit dans notre pays, en particulier le rôle constitutionnel de gardien des libertés individuelles et collectives conféré au pouvoir judiciaire et le sacro- saint principe de l’égalité des citoyens devant la loi. C’est pourquoi, tous les acteurs qui ont concouru à la survenance de ces évènements doivent être identifiés et les responsabilités situées dans les meilleurs délais.

Dans le préambule de la Constitution du 02 juin 1991, complété par celui de la Charte de la Transition du 14 octobre 2022, notre pays a réaffirmé son attachement aux valeurs d’intégrité, de patriotisme et de justice, tout en adhérant aux valeurs et principes démocratiques contenus dans les instruments juridiques internationaux et régionaux auxquels le Burkina Faso a souscrit. Il est donc impérieux de conformer les pratiques à cette légalité républicaine à laquelle nous avons librement souscrit. Nul besoin de rappeler que le statut de victime ou d’auteur d’injustice n’est point définitif et qu’une justice qui protège indifféremment le fort et le faible mérite le soutien de tous.

Tout en félicitant l’ensemble des acteurs judiciaires du Tribunal de grande instance Ouaga II pour leur sens de professionnalisme dans le traitement du dossier en cause, le Conseil supérieur de la magistrature :

– appelle au respect du principe de l’indépendance de la justice consacrée par la Constitution du Burkina Faso;

– interpelle le Président de la Transition sur son rôle de Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire et sur la nécessité d’exercer pleinement ses prérogatives constitutionnelles pour le renforcement de l’indépendance de la justice;

– rappelle la place de la justice dans un Etat de droit et son rôle protecteur de tous les citoyens contre l’arbitraire et la discrimination;

– demande que toute la lumière soit faite autour des circonstances de l’évasion de la prévenue NIKIEMA Amsétou;

– exige l’exécution du mandat de dépôt décerné par le Procureur du Faso contre la prévenue NIKIEMA Amsetou;

– reste attentif à l’évolution de cette situation inédite.

Fait à Ouagadougou. 31 juillet 2023

Conseil Supérieur de la Magistrature
Le Président

Mazobé Jean KONDE

 

 

 

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