🔴 Pourquoi la Chine au lieu de Taïwan ?

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L’ancien ministre des Affaires étrangères Alpha Barry – dans une nouvelle tribune – explique la reprise des relations diplomatiques entre le Burkina Faso et la Chine. Selon le ministre, « les détracteurs s’interrogent sur le deal qui a pu justifier la rupture des relations avec Taïwan pour renouer avec la République populaire de Chine ». A mon avis, dit-il, on doit inverser la question. Pour quelle raison devrait-on s’accrocher à Taïwan? S’interroge-t-il. Nous vous proposons in extenso La Tribune de l’ancien patron de la diplomatie qui a pour titre: « Pourquoi la Chine au lieu de Taïwan? »

Dans la même lancée sur les prétendus hélicoptères qui seraient arrivés au port de Lomé, les détracteurs s’interrogent sur le deal qui a pu justifier la rupture des relations avec Taïwan pour renouer avec la République populaire de Chine. A mon avis, on doit inverser la question. Pour quelle raison devrait-on s’accrocher à Taïwan ? Question pertinente parce qu’au moment où le Burkina renouait avec la Chine, il faut savoir qu’il n’y avait plus que 2 pays sur 55 en Afrique qui étaient toujours en relation avec Taïwan. Je dis bien 2 sur 55 ! Pour quelles raisons donc, sur 55 États en Afrique, le Burkina et un second pays (Sawaziland) vont être les seuls à continuer avec Taïwan ? Va-t-on dire que tous les 53 autres pays ne savent pas où se trouvent leurs intérêts ? Avouons que c’est quand même bizarre !

 

Le choix entre 14 milliards et 32 milliards FCFA

 

Les détracteurs se demandent pour quel pays et pour quels intérêt avons-nous agi en abandonnant Taïwan pour la Chine.

Comme je l’ai déjà dit dans mon précédent écrit, je ne suis pas à l’aise de parler d’un partenaire encore moins de le critiquer. Je ne critique pas les choix faits par les prédécesseurs. Mais on peut s’interroger sur notre position avec Taïwan en 2018.

Pour la bonne information des Burkinabè, le dernier accord issu de la commission mixte (septembre 2016) avait conclu sur une enveloppe globale de 43 millions d’Euros pour deux ans. Si on divise en deux, cela revient à 21,5 millions d’Euros par an pour les 26 projets. Autrement dit, 26 projets pour 14,104 milliards de francs CFA par an. Dans les discussions pendant la commission mixte en septembre 2016, le Gouvernement avait demandé une augmentation de l’enveloppe globale pour prendre en compte 5 autres projets jugés importants pour le bien-être des populations Burkinabè. Nous n’avons pas eu gain de cause.

Lorsque je me suis rendu à Taipei en octobre de la même année, sur instruction du Président Roch Kaboré, j’ai fait part à la Présidente taïwanaise de l’intérêt du Burkina pour ces 5 projets restés en suspens. Elle a promis de donner des instructions dans ce sens à son Ministre des Affaires Étrangères. Mais plus d’une année après nous n’avons rien vu venir malgré nos relances.

Nous avons également dit que 26 projets pour un peu plus de 14 milliards de francs CFA, ce n’était pas structurant pour notre développement. Nous avions ainsi un émiettement des interventions du partenaire alors que le choix stratégique du Gouvernement était de se concentrer sur quelques projets importants et structurants avec la même enveloppe à défaut de l’augmenter. Nous n’avons pas eu, non plus, gain de cause.

C’est ainsi que nous avons tiré nos conclusions à savoir que Taïwan a certes bien aidé le Burkina Faso à une certaine époque mais pour les défis du moment, l’intérêt du pays commandait de se tourner vers la Chine. Ce qui a été fait !

Et juste après le rétablissement des relations avec la Chine, le premier accord triennal signé fin août 2018, était de plus de 95 milliards francs CFA. Ce qui veut dire près de 32 milliards de francs CFA par an. Soit plus du double de l’enveloppe taïwanaise.

Donc, au lieu d’avoir une multitude de projets (26 au total) pour un peu plus de 14 milliards de francs CFA, nous avons fait le choix d’une dizaine de projets pour une enveloppe de près de 32 milliards francs CFA dont l’hôpital de Bobo-Dioulasso. Cet hôpital est un don de la Chine et non un prêt comme ce fut le cas de l’hôpital de Tengandogo avec Taïwan. Je me réjouis de voir que les travaux de ce futur hôpital de référence sous-régionale avancent bien à Bobo.

De tout ce qui précède, où se trouvait l’intérêt du Burkina Faso à ce moment là ? Avec Taïwan ou avec la Chine ? Est-ce qu’on a besoin de deal pour comprendre que c’est du côté de la chine. Je pense que non ! De toute façon, c’était déjà le choix de 53 pays africains sur 55.

En plus, il faut souligner que la Chine à travers un système de garantie à travers sa structure Eximbank offre plus de possibilités de financement pour des projets importants et structurants sous forme de prêts. L’apport des financements de projets par Eximbank Chine dans le développement de l’Afrique est bien connu de tous.

 

La sécurité par la vidéosurveillance

 

Cet important mécanisme de la coopération chinoise dont notre pays a été longtemps privé, a permis de lancer très rapidement un gros et important projet de sécurité appelé Smart Burkina. Il s’agit précisément d’un système de vidéosurveillance du pays. La première phase concerne les villes de Bobo-Dioulasso et de Ouagadougou. Et comme vous le savez bien, notre capitale a subi trois attentats terroristes dont l’un a frappé en mars 2017 le cœur de notre système de défense nationale à savoir l’État-major général des Armées. Un autre a été déjoué. Avec un total de 58 morts, côté amis.

Certes, il n’y a pas de risque zéro en matière de sécurité, mais la vidéosurveillance est un puissant moyen de défense que toutes les villes du monde se dotent pour prévenir ou déjouer des attentats. Ou encore pour les besoins d’enquête même dans le cadre du grand banditisme. C’est vrai que la vidéosurveillance n’est pas très visible comme des hélicoptères ou de l’armement. Mais ça reste un puissant et incontournable moyen de sécurité et de défense d’une ville et même d’un pays tout entier. Alors, est-ce qu’après trois attentats dans une ville qui ont visé des cafés, un hôtel, une ambassade (France), l’État-major de l’Armée et un autre attentat déjoué (opération de Rayongo), on pouvait se permettre de laisser les villes du pays sans un système de protection ? Non !

Donc la rupture avec Taïwan était le bon choix à faire. On n’avait pas besoin de deal pour faire ce choix. Et il n’y a pas eu de deal. Les intérêts stratégiques du Burkina et de son peuple apparaissaient clairement du côté de la Chine.

Je passe sous silence toutes les opportunités de projets régionaux avec la Chine qui n’étaient pas possible avec Taïwan. Étant donné qu’aucun pays voisin et même aucun pays de l’Afrique de l’Ouest n’est en relation avec Taipei.

Le Burkina n’avait pas non plus accès aux dons de matériels sécuritaires de la Chine à travers l’Union Africaine. Après le rétablissement des relations, ce fut possible et ça été fait. En plus, un accord bilatéral a permis de débloquer une dotation de matériels militaires par la Chine dont les premières livraisons devraient intervenir courant 2022. Sans oublier les possibilités avec les lignes de crédit dans les sociétés de fabrication d’équipements militaires. Des pays voisins exploitent à fond cette opportunité offerte par la Chine.

Pour revenir à la question de départ à savoir pour quel pays et pour quels intérêts avons-nous abandonné Taïwan au profit de la Chine, la réponse est assez claire. C’est pour le Burkina Faso et pour les intérêts des Burkinabè. Ça ne peut pas être pour des intérêts personnels ni pour des intérêts français. Comme je l’ai déjà écrit, un pays occidental comme la France ne va pas pousser un autre État vers la Chine. Surtout au détriment de Taïwan qui est le protégé des occidentaux. Le choix du Gouvernement à l’époque s’est fait donc en toute souveraineté selon les intérêts du pays.

 

Alpha Barry

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