🔴 Réinhumation restes de Sankara et compagnons : « Qui ne sait pas faire la paix avec ses morts ne sait pas faire la paix avec lui-même… », (Ra-Sablga)

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(FILES) This file photo taken on August 31, 1986 shows Captain Thomas Sankara, President of Burkina Faso, saluting upon his arrival in Harare for the 8th Summit of Non-aligned countries. France's President Emmanuel Macron on November 28, 2017 promised to declassified all the French documents on former Burkina Faso's President Thomas Sankara's murder during a visit to Burkina Faso. / AFP / Alexander JOE

Les restes du héros appartiennent-ils à l’armée ou à sa famille ? C’est la question que se pose Ra-Sablga Seydou Ouédraogo dans cette tribune, publiée à quelques heures de la réinhumation des restes du Capitaine Thomas Sankara et de ses 12 autres compagnons.

Pour le directeur exécutif de l’Institut FREE Afrik, c’est un « faux dilemme qui présente une opposition binaire qui n’a pas lieu d’être, comme si le consensus était interdit ou impossible. »

Il reste convaincu qu’un « pays qui ne sait pas faire la paix avec ses morts ne peut pas faire la paix avec lui-même, a fortiori affronter ses défis ! Contre le terrorisme ».

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Sankara : le supplice continue !

Ce qui devait être un couronnement est devenu un point de discorde et le début d’un nouveau déchirement. Ce qui devait être un recueillement national est devenu une tempête dramatique. Ce qui devait amener l’apaisement dans les cœurs rallume la douleur et prolonge le supplice.

Sans des familles de victimes, sans des orphelins des martyrs, sans des veuves, dans un lieu non consensuel et même disputé, les restes des héros du 15 octobre seront inhumés !

Vaines, les larmes et les supplications de familles de victimes. Vains les appels à la recherche du consensus. Vaines, les missions de bons offices et les médiations de tous genres.

Pourquoi ?

Le pseudo-consensus annoncé a été éventé. On le sait à présent, contrairement au communiqué officiel, la décision sur le lieu et la date des inhumations n’a pas requis le consensus des familles des victimes. Il est dès lors opposé des arguties juridiques et de mystiques « impératifs socioculturel et sécuritaire d’intérêt national ».

Les restes du héros appartiennent-ils à l’armée ou à sa famille ? Un faux dilemme qui présente une opposition binaire qui n’a pas lieu d’être, comme si le consensus était interdit ou impossible. La famille Sankara, digne, est sortie de sa réserve, parce qu’indignée, et a exposé à présent ses doléances qui ne sont pas insurmontables pour peu que l’on veuille lui accorder la considération et le respect dus aux familles de victimes. Personne ne s’est battu pour savoir à qui revenait les charges des orphelins durant toutes ces décennies. Qui s’est inquiété du sort des orphelins, des veuves, des frères et sœurs, des parents des martyrs durant ces décennies ? L’Armée ? L’État ? Un peu de décence tout de même !

Des « impératifs socioculturel et sécuritaire d’intérêt national » ? Beaucoup lisent dans ces mots, le pari occultiste suivant : il semble que l’inhumation en urgence au Conseil de l’Entente aurait des vertus de lutte contre l’insécurité en ramenant la paix sociale troublée. Nous laissons cela aux experts en la matière. Dieu nous ramène la paix !

Qu’il suffise de noter tout de même que nos traditions ont bon dos, elles sont évoquées et invoquées opportunément pour toutes les causes : les bonnes comme les mauvaises ; les intentions affichées comme les motivations occultes ainsi que des considérations les plus superstitieuses.

Plus fondamentalement, ramener la crise sécuritaire actuelle à la mémoire hantée de nos héros qu’il faut apaiser pour retrouver la paix est une erreur qui nous aveuglerait. Quid alors du Mali et du Niger confrontés aux mêmes crises sécuritaires que nous ? Cela rappelle hélas certains arguments sur le retour frauduleux de Blaise Compaoré dans la division totale. On connait la suite.

Au final, les questions demeurent : pourquoi cet entêtement ? Pourquoi cet empressement ?

Et pourtant c’était un moment de victoire !

Et pourtant nous étions dans un moment de victoire, de victoire partagée. De nombreux militants et sympathisants, d’ici et d’ailleurs, ont obtenu la tenue effective du procès historique sur les évènements du 15 octobre 1987 et la condamnation de commanditaires et auteurs. Cette victoire est celle de tous ces militants de différentes générations, de tous les soutiens extérieurs et divers, de tous ces jeunes qui voient en Sankara leur héros et trouvent en sa parole et en ses actes le viatique de leur engagement, la source de leur espérance. Victoire de familles de victimes endurantes, courageuses et restées dignes. Hélas, cette victoire ne laisse pas place, pas encore, au deuil paisible des familles et de la Nation entière. Il semble qu’il était besoin de rejouer le drame et de faire prolonger le supplice. Hélas !

Qui ne sait pas faire la paix avec ses morts ne sait pas faire la paix avec lui-même a fortiori ses défis !

Aucun régime politique n’aura revendiqué l’héritage de Sankara autant que les plus hautes autorités de la Transition en cours. Elles peuvent encore et doivent dégager leur responsabilité historique. Sinon, elles assumeront le mépris et l’arbitraire contre la veuve et les orphelins du plus grand défenseur de la veuve et de l’orphelin dans notre histoire contemporaine. Est-ce la récompense que ce pays réserve aux familles qui nous donnent la prunelle de leurs yeux, aux familles des meilleurs d’entre nous ? La veuve et les orphelins, toutes les familles des victimes méritent bien mieux de la part de notre pays. Surtout, le Burkina Faso mérite bien mieux que ce drame continu et l’effroi éternel des souffrances des victimes et de leurs familles.

Au fond, notre faillite à organiser l’inhumation des restes de nos martyrs dans la dignité, le recueillement et le consensus est symptomatique de notre incapacité à nous rassembler véritablement contre l’insécurité. Un pays qui ne sait pas faire la paix avec ses morts ne peut pas faire la paix avec lui-même, a fortiori affronter ses défis ! Contre le terrorisme, Sankara doit nous réunir, et non nous diviser ! Il est encore temps (?) de de bien faire.

Ra-Sablga Seydou OUÉDRAOGO

Directeur exécutif de l’Institut FREE Afrik

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