🔮 Que va chercher Tambela au Nicaragua à l’autre bout du monde ?

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Le Premier ministre Apollinaire Kyelem de Tambela – Ă  bord d’un avion Air France – a quittĂ© Ouagadougou, lundi, pour une visite officielle Ă  Managua, capitale du Nicaragua. Il n’y a pas trop d’informations sur ce voyage du Premier ministre depuis qu’il a quittĂ© Ouagadougou ce lundi mais selon un communiquĂ© de la primature, « le chef du Gouvernement de la Transition et sa dĂ©lĂ©gation [doivent participer] Ă  la cĂ©rĂ©monie officielle du 44Ăšme anniversaire du triomphe de la rĂ©volution sandiniste ». Un voyage du PM qui est diversement apprĂ©ciĂ©. Si certains – dans la capitale – ont estimĂ© qu’il s’agit d’un voyage inopportun qui ne profite qu’à Tambela lui-mĂȘme, donc du tourisme, car le Nicaragua ne peut rien apporter au Burkina Faso surtout dans sa lutte actuelle contre le terrorisme, d’autres par contre ont saluĂ© cette visite qui – selon eux, tĂ©moigne de la vitalitĂ© du gouvernement Ă  multiplier sinon diversifier ses relations de coopĂ©ration.

« Si on reste dans une logique de rationalité géopolitique, de recherche de partenariats féconds, alternatifs, on ne peut pas comprendre ces genres de relations », a déclaré Kalifara Séré, consultant, expert en stratégie de territoire et développement, administrateur civil à la retraite

Selon l’analyste politique, pour comprendre ce voyage, « il faut pratiquement rentrer dans la psychologie rĂ©volutionnaire chez certains individus, une sorte d’atavisme, un attachement au passĂ©, presqu’une pathologie ».

« Quand on permet une visite de ce genre en pĂ©riode de guerre dans un pays faillible comme le Nicaragua, il y a un problĂšme. Sauf Ă  ne pas savoir ce qu’est devenu le Nicaragua », note M. SĂ©rĂ©.

« Il y a le Nicaragua que le Burkina a connu en aoĂ»t 1986 quand Sankara a invitĂ© Daniel Ortega. Il y a eu un meeting gigantesque. Daniel Ortega Ă©tait reprĂ©sentatif de la lutte des classes pauvres d’AmĂ©rique latine et centrale », a rappelĂ© le consultant qui poursuit que depuis, il y a beaucoup d’eau qui a coulĂ© sous le pont. Qu’est-ce que le Nicaragua reprĂ©sente aujourd’hui ?, s’interroge Kalifara SĂ©rĂ©.

« Le Nicaragua, c’est un mĂ©lange de tout. Le temps dĂ©truit. Ça a construit des hommes mais ça a dĂ©truit aussi des hommes. Ça peut dĂ©truire un hĂ©ros. Le temps a dĂ©truit Ortega. Parce qu’il est devenu au fur et Ă  mesure un gars comme Blaise CompaorĂ© qui a tout dĂ©tricotĂ©, il a pris le contrĂŽle sur l’ensemble des institutions supĂ©rieures. Il a tout massacré », fait observer l’administrateur civil Ă  la retraite.

En rĂ©alitĂ©, explique-t-il, pour aller au Nicaragua aujourd’hui, il faut avoir vraiment perdu le contrĂŽle de soi-mĂȘme. Ne pas avoir un minimum d’information ou de culture gĂ©nĂ©rale, d’ĂȘtre rester figĂ© dans le passĂ© (
)

Kalifara SĂ©rĂ© pense qu’au stade oĂč on est, en 2023, il n’y a rien qu’on puisse apprendre du Nicaragua. « C’est presqu’une malĂ©diction. La dĂ©chĂ©ance de Ortega est extraordinaire », a-t-il ajoutĂ©. « Avec son Ă©pouse, on peut dire que c’est le schĂ©ma du couple maudit », insiste M. SĂ©rĂ©.

« Quand vous allez lĂ -bas, c’est peut-ĂȘtre juste qu’on dise que vous ĂȘtes allĂ© au Nicaragua et encore, qui peut se venter d’ĂȘtre allĂ© au Nicaragua? », s’interroge une fois de plus l’analyste politique. « Il n’y a aucun enjeu », dit-il.

« Les sorties des ministres et du premier ministre doivent ĂȘtre analysĂ©es sous l’angle de la diplomatie internationale, hors vous savez que la diplomatie dans notre systĂšme de gouvernance est rĂ©gie par le PrĂ©sident du Faso. C’est lui qui impulse. Depuis l’arrivĂ©e du MPSR II, nous assistons Ă  une rĂ©orientation totale de la coopĂ©ration en matiĂšre de relation internationale », s’est exprimĂ© Evariste Konsimbo, chroniqueur mĂ©dia, PrĂ©sident du Cercle d’éveil.

« La mode actuelle est au BRICS. Dans ces pays, vous avez l’Union soviĂ©tique ou du moins les pays qui ont l’idĂ©ologie socialiste, des rĂ©gimes totalitaires, autoritaires. Quand vous prenez un pays comme le Venezuela, le Nicaragua, ce ne sont pas des modĂšles de dĂ©mocratie », affirme-t-il.

Pour Evariste Konsimbo, si on revient au contexte BurkinabĂš oĂč le pays est « plongĂ© dans une crise sĂ©curitaire, bientĂŽt qui sera adossĂ©e par une crise Ă©conomique et sociale », on serait en droit de se demander qu’est-ce que ces visites vont rapporter au Burkina ?

Prenant le cas de la Russie, M. Konsimbo fait savoir que la Russie elle-mĂȘme se cherche avec d’énormes difficultĂ©s.

Le Venezuela, selon les sources du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les rĂ©fugiĂ©s, laissent entendre 5 millions de rĂ©fugiĂ©s qui quittent pour des questions Ă©conomiques et aussi pour des questions de dĂ©tĂ©rioration des droits humains, note Evariste Konsimbo qui explique que le Nicaragua n’est pas aussi un modĂšle de gouvernance, car un pays en proie Ă  des difficultĂ©s.

« Tout ce que moi je peux dire, ce que cette visite rapporte, c’est le tourisme. Cela permet au Premier ministre de dĂ©couvrir des pays parce que c’est un rĂȘveur », affirme-t-il. En clair, selon M. Konsimbo, cette visite ne peut rien apporter au Burkina Faso. La seule personne qui tire profit de cela, indique-t-il, c’est le Premier ministre qui profite pour faire des voyages et des dĂ©couvertes.

Mais d’autres analystes voient en cette visite une opportunitĂ© pour le Burkina de nouer d’autres partenariats.

Pour Idriss Ouédraogo, analyste et spécialiste de la communication politique, la visite du Premier ministre au Nicaragua dénote de la vitalité du gouvernement qui multiplie les relations.

« Maintenant comment on jauge les rĂ©actions des personnes non averties de la grande population ? Est-ce qu’il faut qu’on s’en tienne Ă  ça ? », s’interroge M. OuĂ©draogo. « C’est vrai que c’est nouveau et on ne s’attendait pas totalement Ă  cela mais en gros, sans s’appesantir sur la qualitĂ© ou la capacitĂ© du Nicaragua, on sait dĂ©jĂ  que c’est un pays qui peut avoir des proximitĂ©s idĂ©ologiques. Je retiens la bonne volontĂ© de diversifier », fait savoir l’analyste. Selon lui, le monde n’est pas aujourd’hui Ă  la stagnation. Il ne s’agit pas seulement d’aller, poursuit-il, vers des grands pays, qui donnent des armes, c’est une comprĂ©hension des relations internationales mais il y a une nouvelle stratĂ©gie aussi beaucoup plus fin qui permet non seulement de bĂ©nĂ©ficier d’une certaine expĂ©rience et d’un appui international dans le concert des nations. « C’est vrai, ceux qui critiquent cela, qui voient cela en mal, ils ont analysĂ© cela d’un point de vue immĂ©diat, superficiel mais dans le concert des nations, un pays c’est un pays (
) Ce n’est pas la taille du pays, son histoire spĂ©cifiquement qui fonde les relations internationales », a dit Idriss OuĂ©draogo.

« Ma lecture, c’est que le Nicaragua semble avoir une meilleure notoriĂ©tĂ©, une meilleure image que nous quoi qu’on en dise, c’est un pays qui a Ă©tĂ© pratiquement le plus dĂ©veloppĂ© au dĂ©but du siĂšcle en AmĂ©rique latine. Il a connu des soubresauts, la colonisation espagnole, l’invasion amĂ©ricaine pendant longtemps (
) Ce n’est pas pour autant qu’un pays devient un petit pays ou un grand pays », affirme-t-il et de reconnaĂźtre que le gouvernement aurait dĂ» davantage communiquĂ© sur ce voyage. M. OuĂ©draogo espĂšre qu’il y aura un communiquĂ© final Ă  l’issue de cette visite.

Adama SiguirĂ©, professeur de philosophie, formateur et consultant en relations humaines, Ă©crivain trouve que cette visite est une trĂšs bonne chose. « C’est vrai que ce sont de petits États (NDLR le Nicaragua, le Honduras), mais ce sont des États en quĂȘte de souverainetĂ© lĂ©gitime. Ce sont des États qui ont refusĂ© ce qu’on appelle l’alignement, le modĂšle unique, le systĂšme imposĂ© par les occidentaux, par l’AmĂ©rique et ses partenaires de l’autre cĂŽtĂ©, la France et les autres », explique l’écrivain. Adama SiguirĂ© estime que le Nicaragua est une terre de rĂ©sistance, de souverainetĂ©. C’est l’expression, dit-il, du combat, de la lutte de la souverainetĂ©, de la lutte pour un modĂšle qui ressemble aux citoyens.

« Ici au Burkina Faso nous avons aussi optĂ© pour la lutte pour la souverainetĂ©, nous avons optĂ© de chercher des modĂšles qui nous ressemblent. Nous ne voulons pas que les gens nous imposent un modĂšle unique, nous ne voulons pas que les gens nous disent, voilĂ  ce que nous devons faire, nous avons dĂ©cidĂ© de faire les choses par nous-mĂȘmes et pour nous-mĂȘmes », affirme-t-il.

M. SiguirĂ© indique que partant de cela il va de soi que le Premier ministre Kyelem visite ces pays-lĂ  qui font preuve de combativitĂ©. Il cite le Nicaragua, le Venezuela, le Honduras et d’autres pays de l’AmĂ©rique qui tentent, selon lui, d’affirmer leur souverainetĂ©.

« Je suis trĂšs content. J’encourage le Premier ministre Ă  diversifier nos partenariats. Tout ce que je reprochais Ă  nos autoritĂ©s, c’était le partenariat unique. Vous ĂȘtes avec un ami pendant des annĂ©es et des annĂ©es, le modĂšle unique qui ne sert Ă  rien, un modĂšle dĂ©suet, un modĂšle caduque. Nous avons aujourd’hui le courage d’aller vers d’autres partenaires et le Nicaragua fait partie de ces partenaires tout comme le Venezuela », ajoute l’auteur.

La visite de Tambela montre encore, poursuit Adama SiguirĂ©, la volontĂ© du Burkina d’aller vers la souverainetĂ©, de quitter ce qu’on appelle les sentiers battus, les voies tracĂ©es pour dire voilĂ  ce que le pays doit faire. « Ce sont des visites encore Ă  multiplier pour montrer notre volontĂ© de nous affirmer, de tracer notre modĂšle, notre voie et de ne pas dĂ©pendre des autres surtout de ne pas dĂ©pendre de nos amis, surtout la France et ses alliĂ©s qui ont toujours cru que nous sommes nĂ©s pour les servir alors que nous sommes aussi une nation comme les autres nations », a dit l’analyste.

Avant cette visite au Nicaragua, en mai dernier, le Premier ministre Apollinaire Kyelem de Tambela s’était rendu au VĂ©nĂ©zuela pour une visite de travail d’une semaine du 8 au 14 mai. Une visite qui avait pour but de « diversifier les partenariats dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ».

En dĂ©cembre 2022, toujours dans le mĂȘme Ă©lan de diversification de partenariats, Apollinaire Kyelem de Tambela s’était rendu Ă  Moscou en Russie.

Lamine Traoré / Oméga médias

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