Burkina – Investiture de Damiba: Un « bricolage juridique », selon Ibriga

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Burkina :Investiture de Damiba: "Un "bricolage juridique", selon Ibriga

Déclaré président le 16 février par le Conseil constitutionnel après son putsch du 24 janvier, le leader du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba a été investi président de la Transition mercredi. Quelle analyse peut-on faire de cette investiture ? Décryptage avec le Professeur de droit public et ancien Contrôleur général de l’Etat Luc Marius Ibriga. Il était jeudi l’invité de la rédaction de Radio Oméga.

Radio Oméga : En droit comment qualifie-t-on le fait de prêter serment pour devenir chef d’Etat, deux semaines après on est investi président de la transition ?

Luc Marius IBRIGA : Cela est un barbarisme juridique dans la mesure où la constitution ne connait que l’investiture. Au cours de l’investiture, il y a plusieurs étapes dont la prestation de serment, la remise des attributs de chef de l’Etat et la remise par le président de Faso sa déclaration d’intérêts et de patrimoines.

Radio Oméga : La prestation de serment a pourtant été validé par des hommes de droit, des sages du conseil constitutionnel, n’est-ce pas ?

Luc Marius IBRIGA : Oui la position du conseil constitutionnel n’est pas exempte de critiques l’acte fondamental n’est pas supérieur à la constitution il appartenait au conseil constitutionnel de dire que selon la constitution, il n’y a pas une séparation possible entre la prestation de serment et l’investiture. Là, véritablement y a eu ce que j’appelle un bricolage juridique. Quand vous regardez la cérémonie, à quoi elle ressemble? C’est simplement que le grand chancelier porte le collier de maître des ordres. Depuis quand, le fait de porter ce collier s’assimile à l’investiture du chef de l’Etat? Non, véritablement il faut que cela n’existe plus !

Le Burkina Faso connait huit coups d’Etat depuis son accession à l’indépendance en 1960 et le présent cas est une première de l’histoire. Comment comprenez-vous le fait que ceux qui ont essayé de renverser la transition en 2015 ne puisse pas faire cet exploit pour ne serait-ce que sauver leur tête de poursuite judiciaire.

Le précédent que le conseil constitutionnel a ouvert en acceptant la prestation de serment ne fait pas en sorte que le coup d’Etat soit considéré comme un acte fondamental. Parce que le conseil constitutionnel n’est pas au-dessus de la constitution, or dans notre pays le coup d’Etat est banni.

Radio Oméga : Est-ce que le bon sens ne recommande pas maintenant une libération de ceux qui croupissent en détention au motif de tentative d’attentat à la sureté de l’Etat si non du coup on se retrouve dans la politique du deux poids deux mesures.

Luc Marius IBRIGA : Non, dans la mesure ou ce qui est le droit doit s’appliquer.

Radio Oméga: Puisse qu’on a rendu possible ce qui est impossible pour Damiba, on peut le faire aussi pour les autres?

Luc Marius IBRIGA : Si vous êtes voleur vous devez être sanctionné comme tel. Maintenant cette situation que le conseil constitutionnel a rendu possible ne peut pas devenir la règle. Dans la mesure où une autre formation du conseil constitutionnelle peut revenir sur cette position, il peut avoir un revirement de jurisprudence du conseil constitutionnel.

Radio Oméga: Certains pensent que l’urgence se trouve au front et le président Damiba manœuvre pour légitimer son pouvoir afin de se soustraire à d’éventuelles poursuites judiciaires. Qu’en pensez-vous ?

Luc Marius IBRIGA : C’est pour éviter les sanctions extérieures, c’est en cela que y a cette manœuvre. Mais le MPSR, quand on regarde les modifications dans la charte, entend garder la main et avoir les rênes du pouvoir ce qui se traduit par le fait de l’augmentation du nombre des députés. Quand vous faite l’addition vous vous rendez compte que même si le MPSR est dissout il va rester un nombre important au niveau du parlement. Donc comme certains disent que le parlement devient une chambre d’enregistrement. D’ailleurs un signe qui ne trompe pas, c’est le fait que la charte normalement est adoptée par les forces vives et curieusement on voit qu’à la fin de la charte, c’est le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba qui signe à la place des forces vives. Alors qu’il n’avait pas encore été investi, il signe, puisque c’est le président Paul-Henri Damiba qui va promulguer, il se trouve que c’est lui-même qui signe l’acte. En ce moment, il y a une incohérence dedans. Pour cela, cette charte est en retrait par rapport à la charte de 2014.

Radio Oméga : Ces trois ans pour ramener le Burkina Faso sur les rails, lutter contre le terrorisme en passant par la lutte contre la corruption et l’impunité. Mais il y a d’autres problèmes comme le foncier, la dépolitisation de l’administration. Avez-vous foi en une sincère gestion des affaires publiques ?

Luc Marius IBRIGA : Pour l’instant on ne peut pas dénier au MPSR ou au président Damiba la bonne foi. Maintenant c’est à l’action qu’on va voir. Mais on ne peut pas vouloir faire la dépolitisation de l’administration avec des marches au MPSR ou des mouvements de soutien au MPSR. Cela veut dire qu’on risque de rentrer dans un système où y a ceux qui sont pour le MPSR et ceux qui ne sont pas pour et ça va gripper la machine. Si on dit qu’il faut que vous ayez une ancienneté de 10ans pour occuper tel poste, ça veut dire que vous ne pouvez pas prendre quelqu’un, quel que soit sa compétence pour le nommer à ce poste. Si les manuels de procédures dans l’administration ne sont pas clairement élaborés et appliqués, la dépolitisation risque simplement d’être de l’ordre du discours.

Entretien réalisé par Asmaho Dao

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