
La Cour europĂ©enne des droits de lâhomme a rejetĂ©, jeudi, la demande dâextradition de François CompaorĂ©, frĂšre cadet de lâancien PrĂ©sident Blaise CompaorĂ©, vers le Burkina. La cour estime que le pays – dans sa situation actuelle – ne permet pas de garantir un meilleur traitement Ă François CompaorĂ©, accusĂ© dâavoir incitĂ© Ă assassiner le journaliste Norbert Zongo en dĂ©cembre 1998.
Selon lâarrĂȘt de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme, la mise Ă exĂ©cution du dĂ©cret dâextradition de François CompaorĂ© vers le Burkina Faso « entrainerait une violation faute dâune apprĂ©ciation ex nunc par les autoritĂ©s françaises de la validitĂ© et de la fiabilitĂ© des assurances diplomatiques fournies par cet Ătat, de nature Ă Ă©carter le risque pour le requĂ©rant dâemprisonnement ou Ă de traitements contraires Ă lâart 3 ». Aussi, la cour Ă©voque des « changements politiques majeurs touchant au maintien de lâordre constitutionnel dans lâĂtat dâaccueil ».
En juillet 2021, Francois CompaorĂ© avait « saisi la Cour en vertu de lâarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention »), la dĂ©cision de porter Ă la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») le grief fondĂ© sur lâarticle 3 de la Convention et de dĂ©clarer la requĂȘte irrecevable pour le surplus, la dĂ©cision du 6 aoĂ»t 2021 du juge de la Cour dĂ©signĂ© pour statuer sur les demandes de mesures provisoires, dâindiquer au gouvernement français, sur le fondement de lâarticle 39 du rĂšglement, de ne pas extrader le requĂ©rant pendant la durĂ©e de la procĂ©dure devant la Cour et dâaccorder la prioritĂ© Ă cette affaire (âŠ) ».
LâarrĂȘt qui retrace les diffĂ©rentes Ă©tapes de la procĂ©dure !
En juillet 2017, la justice BurkinabĂš a lancĂ© un mandat dâarrĂȘt international contre le frĂšre cadet de Blaise CompaorĂ©. Le 29 octobre 2017, alors quâil rentrait en France en provenance de la CĂŽte dâIvoire, François CompaorĂ© a Ă©tĂ© interpelĂ© Ă lâaĂ©roport Roissy-Charles de Gaulle en exĂ©cution du mandat dâarrĂȘt susmentionnĂ©. Le lendemain, une demande dâextradition des autoritĂ©s BurkinabĂš a Ă©tĂ© transmise aux autoritĂ©s françaises, au visa de lâAccord de coopĂ©ration en matiĂšre de justice du 24 avril 1961 signĂ© entre la France et le Burkina Faso, en raison des poursuites en cours pour les faits « dâincitation Ă assassinats ».
Le juge dâinstruction de Ouagadougou y relatait les circonstances du dĂ©cĂšs non accidentel du journaliste Norbert Zongo et de trois autres personnes, le 13 dĂ©cembre 1998. Il dĂ©taillait Ă©galement les causes de la rĂ©ouverture de lâinstruction judiciaire initialement clĂŽturĂ©e en 2006 dans les termes suivants : « la rĂ©ouverture du dossier pour charges nouvelles le 7 avril 2015 a Ă©tĂ© motivĂ©e par la dĂ©couverte au domicile de Paul François CompaorĂ© de plusieurs documents laissant penser que non seulement il suivait les faits et gestes de Norbert Zongo et ce depuis 1996, mais quâil Ă©tait aux petits soins des prĂ©sumĂ©s exĂ©cutants de lâassassinat du journaliste et de ses compagnons et ce avant et aprĂšs le 13 dĂ©cembre 1998 ».
La demande dâextradition a Ă©tĂ© complĂ©tĂ©e par un courrier du mĂȘme jour, par lequel le ministre de la Justice du Burkina Faso sâengageait Ă ne pas requĂ©rir la peine de mort Ă lâencontre du requĂ©rant et, si elle Ă©tait prononcĂ©e par le juge du siĂšge indĂ©pendant, de ne pas la ramener Ă exĂ©cution.
Le 30 octobre 2017, François CompaorĂ© a Ă©tĂ© remis en libertĂ© et placĂ© sous contrĂŽle judiciaire avec lâinterdiction de sortir du territoire français.
Le 24 novembre 2017, le ministre de la Justice du Burkina Faso adressa Ă la chambre de lâinstruction de la cour dâappel de Paris saisie de la requĂȘte en extradition, des prĂ©cisions sur « la pratique de la commutation de la peine de mort en emprisonnement Ă vie » ainsi que sur les conditions de dĂ©tention, reconnues comme Ă©tant « difficiles » dans certains Ă©tablissements pĂ©nitentiaires du pays.
Toutefois, il souligna lâexistence de conditions « trĂšs amĂ©liorĂ©es par rapport Ă la situation gĂ©nĂ©rale » au sein de la maison dâarrĂȘt et de correction de Ouagadougou oĂč Ă©taient incarcĂ©rĂ©es les hautes personnalitĂ©s du Burkina Faso, telles que le requĂ©rant, avec un taux dâoccupation moyen en 2015 de 75 %.
Le 23 août 2018, les autorités burkinabÚ ont présenté de nouvelles garanties par la voie diplomatique.
Par un arrĂȘt du 5 dĂ©cembre 2018, la chambre de lâinstruction Ă©mit un avis favorable Ă la demande dâextradition du requĂ©rant.
Le requĂ©rant forma un pourvoi en cassation. Par un premier arrĂȘt du 4 juin 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta la demande de renvoi au Conseil constitutionnel dâune question prioritaire de constitutionnalitĂ© (QPC) formĂ©e par le requĂ©rant et par laquelle il contestait la conformitĂ© Ă la Constitution de lâarticle 696â15 du CPP, qui limite notamment la facultĂ© de former un pourvoi contre un avis de la chambre de lâinstruction aux seuls cas de vices de forme de nature Ă priver cet avis des conditions essentielles de son existence lĂ©gale.
Par un second arrĂȘt du 4 juin 2019, la Cour de cassation rejeta le pourvoi dans les termes suivants quant au moyen du requĂ©rant tirĂ© de la violation de lâarticle 3 de la Convention :
Le 16 dĂ©cembre 2019, le ministre de la Justice du Burkina Faso rĂ©pondit Ă une demande dâinformations complĂ©mentaires du ministre de la Justice français afin dâactualiser les prĂ©cĂ©dentes assurances fournies par les autoritĂ©s burkinabĂš Ă la chambre de lâinstruction.
Par un dĂ©cret du 21 fĂ©vrier 2020, le Premier ministre français, aprĂšs avoir relevĂ© lâabsence de motivation politique de la demande dâextradition, autorisa lâextradition du requĂ©rant vers le Burkina Faso au visa des derniĂšres assurances diplomatiques reçues.
En dĂ©cembre 2020, le requĂ©rant forma un recours pour excĂšs de pouvoir Ă lâencontre du dĂ©cret devant le Conseil dâĂtat.
Le 2 avril 2021, le ministre de la Justice burkinabÚ apporta une réponse comportant les assurances demandées.
Par un arrĂȘt du 30 juillet 2021, le Conseil dâĂtat rejeta le recours.
Dans une derniĂšre note diplomatique adressĂ©e au ministre de la Justice français le 7 janvier 2022, la ministre de la Justice burkinabĂš confirma les conditions dâamĂ©nagement des peines de prison Ă vie prĂ©cĂ©demment indiquĂ©es au gouvernement français mais releva toutefois quâaucun exemple dâapplication Ă un condamnĂ© ne pouvait ĂȘtre fourni en raison du caractĂšre rĂ©cent de ces dispositions du CPP, en particulier sâagissant de lâoctroi dâune libĂ©ration conditionnelle, seules des autorisations de sorties pour raisons familiales ou de santĂ© ayant Ă©tĂ© accordĂ©es Ă des condamnĂ©s Ă vie par le juge de lâapplication des peines.
Le 6 aoĂ»t 2021, la Cour, saisie par le requĂ©rant dâune demande de mesure provisoire au titre de lâarticle 39 de son rĂšglement aux fins de suspension de son extradition vers le Burkina Faso, dĂ©cida, aprĂšs un premier ajournement en vue de poser des questions au gouvernement français, dâindiquer Ă ce dernier de ne pas extrader le requĂ©rant pendant la durĂ©e de la procĂ©dure devant elle.
Le 13 dĂ©cembre 1998, Norbert Zongo, directeur de publication du journal dâinvestigation « LâIndĂ©pendant », a Ă©tĂ© assassinĂ© au sud de Ouagadougou. Le journaliste enquĂȘtait sur la mort suspecte de David Ouedraogo, le chauffeur de François CompaorĂ©, survenue en 1997 dans des circonstances mystĂ©rieuses. Un assassinat qui avait suscitĂ© un Ă©moi au Burkina Faso et avait conduit Ă une grave crise sociopolitique.
ConsidĂ©rĂ© comme le suspect numĂ©ro un dans cette affaire, avec la complicitĂ© de membres de lâancienne garde prĂ©torienne, François CompaorĂ© avait bĂ©nĂ©ficiĂ© dâun non-lieu en 2006. Pendant les 27 annĂ©es de rĂšgne de son frĂšre, Blaise CompaorĂ©, François CompaorĂ©, surnommĂ© le « petit prĂ©sident » par la presse BurkinabĂš, avait Ă©tĂ© son fidĂšle et discret conseiller.
En 2015, le dossier Norbert Zongo a Ă©tĂ© rouvert Ă la faveur dâun gouvernement de transition, Blaise CompaorĂ© ayant Ă©tĂ© chassĂ© du pouvoir en 2014 par une insurrection populaire.
Lamine Traoré / Oméga médias
