ĂDITORIAL DES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES DES MĂDIAS DU BURKINA FASO
Non, les médias burkinabÚ ne sont pas la « Radio mille collines »
Le 23 janvier 2023, la Direction de la communication et des relations publique de la primature, a publiĂ© sur la page Facebook de lâinstitution, le compte rendu dâune audience que le maĂźtre des lieux, Apollinaire Kyelem de TambĂ©la, a accordĂ©e au PrĂ©sident du Conseil supĂ©rieur de la communication (CSC), accompagnĂ© des membres du collĂšge des conseillers. De ce compte rendu, il ressort des propos attribuĂ©s au Premier ministre et qui suscitent des inquiĂ©tudes et incomprĂ©hensions des acteurs et organisations professionnelles des mĂ©dias que nous sommes. En effet, on peut y lire ceci: « On ne construit rien sans la discipline. Il est plus que nĂ©cessaire de recadrer la communication au niveau des mĂ©dias pour Ă©viter la pagaille. Lâon se rappelle toujours de la Radio Mille Collines au Rwanda qui a jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant dans le gĂ©nocide dans ce pays. Ce nâest pas parce que lâon est sur un plateau de tĂ©lĂ©vision ou dans un studio avec un micro que lâon doit se croire tout permis ».
Cette sortie du Premier ministre intervient aprĂšs une sĂ©rie dâactes dĂ©noncĂ©s par les organisations professionnelles des mĂ©dias, visant notamment au musĂšlement de la presse depuis le retour des pouvoirs militaires le 24 janvier 2022. Ces propos attribuĂ©s au Premier ministre interviennent Ă©galement au moment oĂč des individus se revendiquant comme des soutiens du prĂ©sident de la Transition, le Capitaine Ibrahim TraorĂ©, appellent au meurtre de journalistes et Ă des attaques contre des organes de presse. Elle intervient surtout dans un contexte oĂč des groupuscules en voie de radicalisation, multiplient des actes de dĂ©fiance de la RĂ©publique et de remise en cause progressive des fondements historiques, sociologiques et rĂ©publicaines, qui ont jusque-lĂ maintenu lâĂ©difice Burkina dĂ©bout, et ce malgrĂ© les vagues rĂ©pĂ©titives de tourbillons qui menacent de lâemporter.
A en croire le compte rendu qui a Ă©tĂ© fait de cette rencontre, le Premier ministre insinue quâil y a de la pagaille dans les mĂ©dias et fait une allusion dangereuse Ă la Radio mille collines du Rwanda, invitant de ce fait, le CSC Ă y mettre de lâordre.
Cette dĂ©marche est Ă©videmment contraire Ă lâesprit dâindĂ©pendance du CSC qui ne doit recevoir dâinjonction ni du gouvernement ni dâaucune autre structure ou pouvoir, dans sa mission de rĂ©gulation.
Cette sortie du Premier ministre jette en pĂąture nos mĂ©dias, surtout dans un contexte national oĂč Ă©mergent « des patriotes de la 25Ăšme heure », disons, des adeptes de la pensĂ©e unique, qui nâhĂ©sitent pas Ă traiter tous ceux qui nâĂ©pousent pas leur conception et leur « nouvel ordre » politico-religieux et sociĂ©tal, « dâapatrides ou dâennemis de la Transition quâil faut, soit Ă©liminer physiquement, soit expatrier ou encore jeter en prison ».
Ces ââinquisiteursââ des temps modernes sâarrogent mĂȘme le droit et le pouvoir de choisir les « bons journalistes », les « mĂ©dias patriotes » et les « mĂ©dias suppĂŽts de la France Ă fermer ». Dâautres vont plus loin, en traitant les organisations professionnelles des mĂ©dias de « groupes terroristes », « Ă dĂ©coloniser ».
Notre Premier ministre, sans peut-ĂȘtre le savoir, apporte ainsi de lâeau au moulin de ces nouveaux « rĂ©volutionnaires », se croyant sortis de la cuisse de Jupiter et qui se sont investis de la mission messianique de libĂ©rer le Burkina « des intellectuels apatrides et chiens de la France ». Il donne Ă ces « supers citoyens » qui, au nom de leur libertĂ© dâexpression, sâarrogent tous les droits, y compris celui de choisir ceux qui mĂ©ritent de vivre ou non, des raisons supplĂ©mentaires de poursuivre dans leurs errements.
Jusque-lĂ , et face Ă nos dĂ©nonciations, le gouvernement sâest contentĂ© de timides communiquĂ©s, dĂ©nonçant du bout des lĂšvres ces menaces qui pĂšsent sur la libertĂ© de la presse, sur les droits humains et sur la sĂ©curitĂ© des professionnels des mĂ©dias ainsi que des organes et des entreprises de presse. Mais cette sortie de celui qui jusquâĂ une date rĂ©cente, Ă©cumait nos plateaux de tĂ©lĂ©vision, nous donne des raisons supplĂ©mentaires de nous inquiĂ©ter.
Au regard de la gravitĂ© de cette situation, il est apparu impĂ©ratif aux acteurs des mĂ©dias que nous sommes, de tirer la sonnette dâalarme et dâinterpeller les autoritĂ©s de la Transition, Ă commencer par le Chef de lâEtat, son Premier ministre et son gouvernement ainsi que le pouvoir lĂ©gislatif de Transition, sur les graves risques dâatteintes Ă la libertĂ© de la presse et surtout Ă la sĂ©curitĂ© des hommes et femmes de mĂ©dias dans notre pays.
La lutte contre le terrorisme ne saurait aucunement ĂȘtre un prĂ©texte pour mettre la presse indĂ©pendante sous coupe rĂ©glĂ©e. Dâautant plus que depuis le dĂ©but de cette guerre injuste imposĂ©e au Burkina Faso et Ă dâautres pays de la sous-rĂ©gion, les mĂ©dias burkinabĂš assument globalement leur responsabilitĂ© sociale, en se positionnant Ă des niveaux divers, comme des artisans de la construction de la paix, de la formation dâopinions publiques soucieuses de la prĂ©servation du climat et de la cohĂ©sion sociale et de communion entre les communautĂ©s.
Conscients de cette responsabilitĂ© sociale, les mĂ©dias burkinabĂš, Ă travers des Ă©ditoriaux et divers contenus, participent au dĂ©sarmement psychologique et sociologique, Ă la promotion dâun vivre-ensemble apaisĂ© partout sur le territoire national. MalgrĂ© la modestie de leurs moyens, nos mĂ©dias travaillent avec rigueur et professionnalisme Ă dĂ©noncer la mauvaise gouvernance et Ă constituer des relais de lâaction de nos gouvernants ainsi que des porte-voix de notre peuple.
Les mĂ©dias burkinabĂš nâont jamais Ă©tĂ© et ne seront jamais un obstacle Ă la lutte contre le terrorisme. Chaque fois que le pays les appelle, ils ont toujours rĂ©pondu prĂ©sents avec honneur et dĂ©vouement. Loin de nous toute prĂ©tention de dire que tout est parfait ! Mais les fautes ou les manquements (avĂ©rĂ©s ou ressentis comme tels) de quelques acteurs ne doivent pas autoriser nos autoritĂ©s Ă jeter tous les mĂ©dias et leurs acteurs Ă la vindicte populaire.
Dans cette guerre, tout le monde sait oĂč se trouvent les responsabilitĂ©s rĂ©elles du drame que vivent les BurkinabĂš. Et ce nâest certainement pas au niveau des mĂ©dias quâil faudrait les rechercher. Il faut surtout Ă©viter de faire des mĂ©dias les boucs Ă©missaires dans cette tragĂ©die que vit le pays. Nous croyons plutĂŽt que nous sommes une partie de la solution, et nous voyons notre responsabilitĂ© et notre engagement comme tels.
Les acteurs des mĂ©dias voudraient, par cet Ă©ditorial commun, rĂ©affirmer leur soutien sans faille aux Forces de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© (FDS), aux volontaires pour la dĂ©fense de la patrie (VDP), aux autoritĂ©s de la Transition et Ă tous les BurkinabĂš engagĂ©s dâune maniĂšre ou dâune autre dans ce combat pour la restauration de la dignitĂ© du peuple burkinabĂš et de lâintĂ©gritĂ© du territoire national. Ils saluent les contributions des partenaires du Burkina Faso qui apportent leur soutien sincĂšre Ă notre peuple dans ces moments de grande incertitude.
Les acteurs des mĂ©dias tiennent Ă rĂ©affirmer leur attachement au professionnalisme et Ă lâindĂ©pendance comme sĂšve nourriciĂšre de notre mĂ©tier.
Câest pourquoi, nous Ă©levons Ă travers ces lignes de vives protestations contre cette escalade dangereuse Ă laquelle nous sommes de plus en plus exposĂ©s. Il y a assurĂ©ment urgence Ă bĂątir ensemble lâunitĂ© nationale autour du dĂ©fi majeur du moment, celui de prĂ©server lâEtat de droit et du vivre-ensemble dĂ©mocratique, garantissant et protĂ©geant les libertĂ©s face aux dĂ©rives, dâoĂč quâelles viennent.
Les acteurs des mĂ©dias lancent un appel au gouvernement afin quâil crĂ©e les conditions permettant aux mĂ©dias professionnels de continuer Ă assurer le rĂŽle de service public dâinformation sans toutefois compromettre les actions des forces de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© ni violer les principes Ă©thiques et dĂ©ontologiques des mĂ©tiers de lâinformation.
Ils appellent les autoritĂ©s Ă se ressaisir et Ă se concentrer sur lâessentiel des missions de la Transition contenues dans la charte qui leur confĂšre la lĂ©gitimitĂ© ou la lĂ©galitĂ© de diriger ce pays.
Ils les tiendront pour responsables de toutes atteintes Ă lâintĂ©gritĂ© physique des professionnels des mĂ©dias et Ă la sĂ©curitĂ© des locaux des entreprises de presse ainsi que les domiciles et autres propriĂ©tĂ©s privĂ©s des acteurs mĂ©diatiques.
Ils prennent enfin lâopinion nationale et internationale Ă tĂ©moin sur les graves menaces qui pĂšsent sur la presse au Burkina Faso et sur la nĂ©cessitĂ© de ne pas briser ce rempart si cher Ă la dĂ©mocratie et Ă lâEtat de droit.
Pour une presse professionnelle, libre et responsable au service de la cohĂ©sion sociale, de la paix, du dĂ©veloppement, maintenons le cap et restons dĂ©bout et fidĂšles Ă notre sacerdoce dâinformer vrai, juste et utile, de former et dâĂ©duquer !
Les Organisations professionnelles des médias du Burkina Faso
