🔮 Mohamed Bazoum: « La tĂ©lĂ©commande est entre nos mains, pas entre celles de la France ». (Entretien)

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Dans un entretien accordĂ© au journal français « Le Monde », Mohamed Bazoum, le PrĂ©sident du Niger, Ă©lu en 2021, estime que son pays est « dans une dynamique de contrĂŽle » face aux djihadistes. Le chef de l’Etat du Niger est l’un des meilleurs alliĂ©s de Paris dans le Sahel. Il se considĂšre comme soutenu par la France et non soumis Ă  elle dans la lutte contre les djihadistes au Sahel.

 

■Depuis son dĂ©part du Mali, l’armĂ©e française s’est en partie redĂ©ployĂ©e au Niger. Comment jugez-vous la collaboration qui s’est mise en place avec vos soldats?

Mohamed Bazoum: Nous menons des opĂ©rations Ă  notre frontiĂšre avec le Mali qui se passent dans d’excellentes conditions. C’est vrai que nous ne som- mes pas dans un contexte de bel- ligĂ©rance trĂšs forte, mais le service est assurĂ© de façon tout Ă  fait satisfaisante. Des patrouilles sont menĂ©es ensemble, avec l’utilisa tion des moyens des uns et des autres, et, quand nous avons besoin de moyens que nous n’avons pas, en particulier aĂ©riens, c’est la France qui nous soutient.

■L’efficacitĂ© de leur action n’est- elle pas limitĂ©e par le fait que vous ne pouvez plus mener des opĂ©rations transfronta- liĂšres au Mali, oĂč peuvent se replier les djihadistes?

Oui, bien sĂ»r, mais nous respectons la frontiĂšre du Mali. L’idĂ©al aurait Ă©tĂ© que nous soyons dans des conditions de coopĂ©ration opĂ©rationnelle avec tous nos voisins. C’est ce que nous nous efforçons de faire avec les BurkinabĂš. Ils ont quelques soucis pour le moment mais, dĂšs qu’ils seront prĂȘts, nous reprendrons les opĂ©rations conjointes. Ce n’est malheureusement pas le cas pour le moment avec le Mali, avec lequel nous n’avons plus de relations militaires.

■Ne craignez-vous pas que le redĂ©ploiement de l’armĂ©e française au Niger exacerbe le sentiment antifrançais qui s’exprime chez vous comme ailleurs dans la rĂ©gion?

Quand nous Ă©liminons seize terroristes le 11 novembre, en quoi cela pourrait-il provoquer un sentiment contre les Français? Bien au contraire. Nous avons une petite opinion Ă  Niamey, qui s’exprime par moments mais qui ne mobilise guĂšre les foules. En ce qui concerne l’ensemble du Niger, je n’ai pas l’impression d’avoir affaire Ă  un sentiment antifrançais d’envergure. Si c’Ă©tait le cas, j’aurais Ă©tĂ© bien plus prudent. J’ai Ă©tĂ© Ă©lu, mon parti fait face Ă  des Ă©lections tous les cinq ans, et nous ne ferons jamais rien qui soit de nature Ă  nous mettre en porte-Ă -faux avec notre opinion.

■Vous avez annoncĂ© des nĂ©gociations avec des groupes djihadistes. La prĂ©sence de l’armĂ©e française au Niger n’hypothĂšque-t-elle pas ces discussions?

Non, pas du tout. Nous avons la tĂ©lĂ©commande entre nos mains. Elle n’est pas dans celles de la France. C’est grĂące Ă  ces discussions que nous avons une relative accalmie dans la zone d’Abala, dans la rĂ©gion de Tillaberi et dans certains endroits proche de la frontiĂšre avec le Burkina Faso. Nous sommes dans une dynamique que nous contrĂŽlons.

■Une bonne partie de vos voisins, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, sont aujourd’hui dirigĂ©s par des militaires. Vous avez Ă©chappĂ© Ă  une tentative de coup d’Etat avant votre prestation de serment. Redoutez- vous un effet domino?

Nous ne le craignons pas, parce que nous avons des situations totalement diffĂ©rentes. La tentative de coup d’Etat au Niger ne pouvait pas se justifier par le fait que nous avons Ă©tĂ© incapables de faire face Ă  l’insĂ©curitĂ© gĂ©nĂ©rĂ©e par l’existence de groupes terroristes Ă  nos frontiĂšres. Les raisons avaient Ă  voir avec l’Ă©lection prĂ©sidentielle. Certains dans l’armĂ©e pensaient alors pouvoir usurper le pouvoir par la force, mais je crois que leurs Ă©checs successifs ont fait que dans notre armĂ©e, plus personne ne songe Ă  ce genre d’aventure.

■Comment analysez-vous le recul des valeurs dĂ©mocratiques sur le continent africain?

Le continent africain n’est pas un isolat. Il y a aujourd’hui un reflux des valeurs dĂ©mocratiques et une montĂ©e en puissance de forces illibĂ©rales aux Etats-Unis, en Europe et Ă  une Ă©chelle encore plus importante en Afrique. En Afrique, malheureusement, ce phĂ©nomĂšne international coincide aussi, pour certains pays, avec le moment de l’Ă©valuation de l’expĂ©rience dĂ©mocratique, qui a durĂ© Ă  peu prĂšs trente annĂ©es. Il y a eu tant de rĂ©gimes incompĂ©tents qui se rĂ©clamaient de la dĂ©mocratie. Il y a eu tant de pratiques de mauvaise gouvernance que, dans un contexte international marquĂ© par la montĂ©e en puissance des idĂ©es non dĂ©mocratiques, des militaires peuvent vouloir venir prendre le pouvoir impunĂ©ment et mettre les pays dans des situations d’impasse terrible.

■Craignez-vous que la guerre en Ukraine dĂ©tourne les Occidentaux de la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel?

Je n’ai pas cette crainte, parce que je n’ai pas l’impression, Ă  part la France, que les pays occidentaux mettent beaucoup de moyens dans le combat contre le djihadisme en Afrique.

■Vous insistez sur la nĂ©cessitĂ© de dĂ©velopper votre Ă©conomie comme meilleur moyen de lutter contre la tentation djihadiste. Vous organisez, du 20 au 25 novembre, Ă  Niamey, un sommet de l’Union africaine sur l’industrialisation.Comment faire en sorte que cette ambition se concrĂ©tise?

■Cela peut ĂȘtre en effet une grand-messe de plus avec beaucoup d’incantations qui ne sont pas suivies d’effets. Cela ne doit pas pour autant nous empĂȘcher de nous rĂ©unir sur ce thĂšme. En Afrique. nous devons ouvrir les yeux sur ce qui s’est passĂ© avec le Covid-19 et ce qui est en train de se passer avec la guerre en Ukraine. Nous avons compris que nous sommes dĂ©pendants pour trop de choses, mĂȘme pour notre alimentation alors mĂȘme que nous avons un potentiel particuliĂšrement important, notamment dans le domaine agricole. Il est urgent que nous rĂ©flĂ©chissions ensemble et que nous mettions en Ɠuvre des politiques qui nous permettent justement de ne plus subir les effets de ce qui peut se passer ailleurs.

■Selon vous, l’Afrique doit pouvoir utiliser ses richesses en hydrocarbures pour son dĂ©veloppement. Est-ce que les pressions des pays du Nord pour rĂ©duire le rĂ©chauffement climatique pourraient Ă©largir la fracture Nord Sud?

Sur ce dĂ©bat, nos partenaires des pays dĂ©veloppĂ©s n’ont pas conscience qu’ils nous font des propositions qui ne sauraient nous convenir. Nous aurions pules Ă©couter si et seulement si le capital nĂ©cessaire pour la promotion des Ă©nergies renouvelables Ă©tait Ă  notre portĂ©e. On nous dit qu’investir dans les Ă©nergies fossiles ne sera pas rentable d’ici Ă  quelques annĂ©es parce qu’elles vont produire une Ă©lectricitĂ© qui ne sera pas ven- dable. Nous sommes d’accord, mais alors il faut convaincre le secteur privĂ© des pays industriali- sĂ©s, les Etats, les banques internationales de dĂ©veloppement, de s’entendre pour faire en sorte que nous disposions de capitaux nous permettant d’investir dans les re- nouvelables. Puisque ce n’est pas le cas, nous ne pouvons que recourir aux Ă©nergies fossiles.

Nous devons rĂ©pondre Ă  nos besoins aujourd’hui, pas d’ici Ă  dix ans ou quinze ans. J’ai de grandes ambitions pour mon pays. Je veux investir dans l’Ă©ducation, l’agriculture, mais comment le ferais-je si je ne dispose pas du minimum de ressources nĂ©cessaires, que je ne peux avoir que si je vends du pĂ©trole?

Je vais vendre du pĂ©trole en 2023 et je vais accroitre les quantitĂ©s de pĂ©trole que je dois vendre. Tant que c’est la seule ressource que j’ai pour promouvoir le dĂ©veloppement de mon pays, j’y aurai recours. AprĂšs, Dieu reconnaitra les siens.

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