Burkina – Les confidences du journaliste-ami de Ladji Yoro: “En six mois, il a échappé à quatre embuscades au moins…”

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L’invité de la rédaction est le journaliste des éditions Sidwaya Djakaridia Siribié. Il est l’auteur du portrait de l’emblématique leader des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) Ladji Yoro tué jeudi dernier avec 40 autres personnes à You dans le Nord. Le journaliste avait rencontré Ladji Yoro en janvier 2021. Depuis lors ils étaient restés très proches. Leur dernier contact date de début décembre. Le journaliste partage dans cet entretien les dernières craintes du chef VDP. Djakaridia Siribié est interrogé par Lamine Traoré.

Radio Oméga: Bonjour Djakaridia Siribié

Djakaridia Siribié: Bonjour Lamine Traoré

Radio Oméga: Comment vous avez accueilli la mort de Ladji Yoro ?

Djakaridia Siribié: Ce fut une nouvelle difficile à admettre pour moi. Une nouvelle qui m’a complètement bouleversé parce que nous étions devenus assez proche après mon séjour à Sollé nous avons gardé de très bons rapports, je l’appelais régulièrement pour avoir de ses nouvelles, des nouvelles de sa famille et il en faisait autant. Je l’appelais et on échangeait sur la situation, c’est justement un de ses proches qui m’a appelé le 23 autour de 18h30 pour me faire cas de l’embuscade. Je n’avais pas trop de détails. J’ai ensuite passé ma soirée à appeler des sources en espérant qu’on me dise qu’il va bien ou à défaut qu’on me dise qu’il est blessé mais sa vie est hors de danger. J’ai vraiment pensé à tout. Tout sauf à son décès. C’est une grande perte.

Radio Oméga: Vous avez rencontré Ladji Yoro en janvier 2021, quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ?

Djakaridia Siribié: Ladji Yoro est un homme de conviction, un homme de valeur, c’est un patriote, quelqu’un qui aime vraiment son pays. Il était d’abord basé au Mali, dans le village de Yoro où il était jardinier. Il gagnait très bien sa vie. De ce qu’il m’a dit, il employait une dizaine de personnes, il faisait une recette d’un million à un million cinq cent mille FCFA tous les trois, quatre mois dans la vente des légumes, le jardinage lui avait bien réussi. La seule raison pour laquelle il est rentré au Burkina, c’est pour défendre sa patrie. Lors de mon séjour là-bas, au cours d’un entretien, il m’a dit que si jamais lui, il doit mourir dans cette guerre-là, il préfère mourir au front, défendant sa patrie. Je me dis que ça en dit long sur son patriotisme et sur son engagement dans la lutte contre le terrorisme.

Radio Oméga: Quel type de leader était-il ?

Djakaridia Siribié: Bien avant que Ladji et ses hommes ne viennent à Sollé, les Koglwéogo existaient déjà à Sollé et dans toute la province du Loroum, mais chaque entité protégeait son village. Mais quand Ladji est arrivé, il n’a pas cherché à s’imposer il s’est fondu dans la masse. Il est allé au front avec les Koglwéogo. Des témoignages que j’ai pu recevoir, au front il s’est distingué par sa bravoure, sa détermination, son courage, sa maîtrise du terrain et sa maîtrise des armes. C’est petit à petit au regard de ces exploits qu’on a commencé à lui faire confiance, qu’on lui a confié la direction des opérations. De Koglwéogo on est passé à Volontaire pour La Défense de la patrie (VDP). L’une des grandes particularités de Ladji, c’est qu’il n’est pas qu’un donneur d’ordre. Il est aussi le commandant en chef. Il va en patrouille avec ses hommes, il va sur le terrain combattre avec ses hommes. L’un des grands succès de Ladji qu’on souligne peu, c’est qu’il a réussi à organiser et à fédérer tous les Koglwéogo du Loroum, je dirai même du Nord.

Radio Oméga: Mais véritablement à l’époque, est ce qu’il vous a fait part de ses craintes quant à la dégradation de la situation sécuritaire dans le Loroum ?

Djakaridia Siribié: Notre dernière conversation date de début décembre après l’embuscade qui a fait 14 victimes parmi les VDP à Titao le 9 décembre, je l’ai appelé pour avoir de ses nouvelles et pour lui présenter mes condoléances. C’est là justement qu’il m’a fait part de ses inquiétudes au regard de la montée en puissance de ces groupes armées terroristes dans la région du Nord. Il trouvait que les groupes armés étaient assez informés de leurs mouvements, il trouvait également facile qu’ils viennent attaquer et repartir sans qu’eux, ils ne puissent réagir. Il craignait qu’il y ait des infiltrés, qu’il y ait des traitres dans leur rang. L’homme a échappé à au moins quatre embuscades de juin 2020 au 23 décembre 2021, après l’une d’elles, il m’a fait savoir que c’était carrément un guet-apens avec des complicités internes. Donc il pensait vraiment nécessaire de nettoyer l’écurie.

Radio Oméga : Avec la disparition de Ladji Yoro comment vous voyez la suite notamment l’engagement des VDP dans cette guerre contre le terrorisme ?

Djakaridia Siribié: Le décès de Ladji est une grosse perte pour nous tous mais elle l’est encore plus pour les VDP. Lorsqu’au sein de la troupe, d’autres étaient dubitatifs, ils avaient peur d’aller sur le terrain et qu’ils se rendaient compte que Ladji serait avec eux ils étaient rassurés. Beaucoup de jeunes m’ont fait savoir qu’ils se sont fait enrôlés parce que Ladji était là. Et l’autre élément à prendre en compte, qui fait de lui le leader confirmé, c’est que lorsqu’un incident se produisait au cours duquel ils enregistraient des blessés, des décès, Ladji savait trouver le mot juste pour les galvaniser. Il savait trouver les mots justes pour les rappeler le sens de leur combat et le sens de leur engagement dans la lutte contre le terrorisme. Il était tout un symbole. Le symbole de la résistance, le symbole de la résilience. Il était l’espoir de tout le Loroum/ pour répondre à votre question, il y a deux éléments à prendre en compte selon moi. Le premier élément, c’est que je vous disais tantôt que les VDP du Loroum sont très bien organisés et ils ont un chef, c’est d’espérer que ce chef-là, il puisse toujours incarner cette unité-là. Le deuxième élément qui est très important à mon sens c’est l’accompagnement du gouvernement. Ladji n’a cessé d’appeler à l’aide. Et avec son décès, nous avons vu beaucoup d’hommage. C’est le moment de matérialiser cet hommage là en accompagnant ceux qui sont restés, ceux qui peuvent encore se battre et ça c’est de les équiper. C’est de les équiper conséquemment et c’est de prendre en charge leurs familles.

Entretien réalisé par Lamine Traoré

Retranscription : Rahinatou Kouda

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